L’Encyclopédie/1re édition/EURIPE
EURIPE, s. m. (Belles-Lettr.) nom qu’on donnoit aux canaux pleins d’eau, qui ceignoient les anciens cirques. Tous ceux de la Grece avoient leurs euripes ; mais celui du cirque de Sparte, formé par un bras de l’Eurotas, acquit ce nom par excellence. C’étoit-là que tous les ans les Ephebes, c’est-à-dire les jeunes Spartiates qui sortoient de leur seizieme année, se partageoient en deux troupes, l’une sous le nom d’Hercule, l’autre sous le nom de Lycurgue ; & que chacune entrant dans le cirque par deux ponts opposés, elles venoient se livrer sans armes un combat, où l’amour de la gloire excitoit dans ce moment entre les deux partis, une animosité qui ne différoit guere de la fureur. L’acharnement y étoit si grand, qu’à la force des mains ils ajoûtoient celle des ongles & des dents, jusqu’à se mordre, pour décider de la victoire ; jamais ce combat ne se terminoit, qu’un des deux partis n’eût jetté l’autre dans l’Euripe. Il faut entendre là-dessus Cicéron, qui eut la curiosité d’aller voir ce spectacle à Lacédémone. Voici ses propres termes : Adolescentium greges Lacedæmone vidimus ipsi, incredibili contentione certantes, pugnis, calcibus, unguibus, morsu denique, ut exanimarentur priùs, quàm se victos faterentur.
Voilà comme les jeunes Lacédémoniens montroient ce qu’ils pourroient faire un jour contre l’ennemi. Aussi les autres peuples couroient à la victoire, quand ils la voyoient certaine ; mais les Spartiates couroient à la mort, quand même elle étoit assûrée, dit Séneque ; & il ajoûte, turpe est cuilibet viro fugisse, Laconi vero deliberasse ; c’est une honte à qui que ce soit d’avoir pris la fuite, mais c’en est une à un Lacédémonien d’y avoir seulement songé. Cet article est de M. le Chevalier de Jaucourt.
Euripe, (l’) s. m. Géog. petit détroit de la mer Egée si serré, qu’à peine une galere y peut passer, sous un pont qui le couvre entre la citadelle & le donjon de Négrepont. Tous les anciens géographes, historiens, naturalistes, & les poëtes même, ont parlé du flux & du reflux de l’Euripe ; les uns selon le rapport qu’on leur en avoit fait, & les autres sans l’avoir peut-être considéré assez attentivement en divers tems & en divers quartiers de la Lune. Mais enfin le P. Babin jésuite nous en a donné, dans le siecle passé, une description plus exacte que celle des écrivains qui l’ont précédé ; & comme cette description est insérée dans les voyages de M. Spon, qui sont entre les mains de tout le monde, j’y renvoye le lecteur.
Le docteur Placentia, dans son Egeo redivivo, dit que l’Euripe a des mouvemens irréguliers pendant dix-huit ou dix-neuf jours de chaque mois, & des mouvemens réguliers pendant onze jours, & qu’ordinairement il ne grossit que d’un pié, & rarement de deux piés. Il dit aussi que les auteurs ne s’accordent pas sur le flux & le reflux de l’Euripe ; que les uns disent qu’il se fait deux fois, d’autres sept, d’autres onze, d’autres douze, d’autres quatorze fois en vingt-quatre heures : mais que Loirius l’ayant examiné de suite pendant un jour entier, il l’avoit observé à chaque six heures d’une maniere évidente, & avec un mouvement si violent, qu’à chaque fois il pouvoit faire tourner alternativement les roues d’un moulin. Hist. nat. génér. & part. tom. I. pag. 489. Voyez Goufre.
J’ajoûterai seulement que S. Justin & S. Grégoire de Nazianze se sont trompés, quand ils ont écrit qu’Aristote étoit mort de chagrin de n’avoir pû comprendre la cause du flux & du reflux de l’Euripe ; car outre que l’histoire témoigne que ce philosophe accusé faussement d’impiété, & se souvenant de l’injustice faite à Socrate, aima mieux s’empoisonner que de tomber entre les mains de ses ennemis ; il n’est pas plus vraissemblable qu’un homme tel qu’Aristote soit mort de la douleur de n’avoir pû expliquer un phénomene de la nature, qu’il le seroit que cette raison abrégeât les jours d’un petit-maître-L’ignorance éclairée & l’ignorance abécédaire ne troublent pas plus l’une que l’autre la tranquillité de l’ame. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.