Théorème de Darboux (analyse)
En mathématiques, et plus particulièrement en analyse, le théorème de Darboux est un théorème démontré par Gaston Darboux en 1875 et qui étend le théorème des valeurs intermédiaires aux fonctions non nécessairement continues mais seulement dérivées de fonctions réelles.
Énoncé
[modifier | modifier le code]Théorème de Darboux — Soit f une fonction réelle, dérivable sur un intervalle [a, b]. Pour tout réel k compris entre et , il existe un réel c, compris entre a et b, tel que .
Formulation équivalente — Soit f une fonction réelle dérivable sur un intervalle I, alors est un intervalle.
Démonstrations
[modifier | modifier le code]Il existe plusieurs démonstrations. La preuve originelle de Darboux[1],[2],[3],[4] repose essentiellement — comme celle du théorème de Rolle — sur le théorème des bornes et le théorème de Fermat sur les extrema locaux. D'autres, comme celle de Lebesgue[5],[3],[6] ou une variante récente (ci-dessous), utilisent d'autres résultats d'analyse élémentaire : le théorème des valeurs intermédiaires joint au théorème de Rolle ou des accroissements finis. L'utilisation du théorème des valeurs intermédiaires est parfois implicite[7],[8].
Historique
[modifier | modifier le code]Une fonction réelle f, définie sur un intervalle I, vérifie la propriété des valeurs intermédiaires si, u et v étant les deux valeurs prises par f respectivement en deux points quelconques a et b de I, toutes les valeurs comprises entre u et v sont également prises par f lorsque la variable varie de a à b. C'est le cas des fonctions continues, ce résultat constituant le théorème des valeurs intermédiaires.
Au XIXe siècle, la plupart des mathématiciens pensaient que, réciproquement, une fonction f sur I qui vérifie la propriété des valeurs intermédiaires est nécessairement continue sur I. Autrement dit, la propriété des valeurs intermédiaires serait une caractéristique des fonctions continues. En 1875, Darboux mit un terme à cette conviction[1],[11], en prouvant d'une part qu'il existe des fonctions dérivables dont la dérivée n'est continue sur aucun intervalle et d'autre part (voir supra), que toute fonction dérivée vérifie la propriété des valeurs intermédiaires.
Les fonctions de Darboux
[modifier | modifier le code]Dans son mémoire, Darboux donne l'exemple suivant de fonction F dérivable dont la dérivée f n'est continue sur aucun intervalle.
Il utilise une première fonction, qui est dérivable en tout point, mais dont la dérivée est discontinue en 0 :
Pour toute série absolument convergente, il définit ensuite la fonction :
Il prouve que cette fonction est dérivable en tout point, de dérivée :
et affirme qu'on obtient ainsi une fonction F dont la dérivée f n'est continue en aucun rationnel[12].
D'après le théorème de Darboux, la fonction f ci-dessus vérifie donc la propriété des valeurs intermédiaires sur tout intervalle, tout en n'étant continue sur aucun intervalle.
Depuis, on appelle fonction de Darboux toute fonction vérifiant la propriété des valeurs intermédiaires. Ces fonctions ont été très étudiées, en relation avec la propriété d'être de classe de Baire 1[13],[14].
De telles fonctions sont nombreuses. Toute fonction continue est une fonction de Darboux. La dérivée de la fonction définie ci-dessus est une fonction de Darboux discontinue en 0. Toute fonction réelle est somme de deux fonctions de Darboux ; plus généralement[15], les fonctions réelles de toute famille ayant au plus la puissance du continu sont toutes sommes de deux fonctions « fortement Darboux » dont l'une est fixe, une fonction f étant dite fortement Darboux si f(I) = ℝ pour tout intervalle I contenant au moins deux points (une telle fonction est automatiquement de Darboux et discontinue en tout point). Les éventuelles discontinuités d'une fonction de Darboux f sont toujours essentielles ; plus précisément, si f est, par exemple, discontinue à droite en un point alors, en ce point, f n'a pas de limite à droite, même infinie. Une fonction de Darboux est continue si (et seulement si) tous ses ensembles de niveau sont fermés[16],[17].
Le théorème de Darboux énonce que la dérivée d'une fonction dérivable est une fonction de Darboux.
La réciproque est fausse. En effet, on sait que toute fonction dérivée est à la fois borélienne et continue sur un ensemble dense et il existe des fonctions « fortement Darboux » (donc discontinues en tout point), comme celles mentionnées ci-dessus ou celles construites par Lebesgue[18] ou par Conway ; il en existe même qui ne sont pas Lebesgue-mesurables[19],[20],[21].
Applications
[modifier | modifier le code]Ce théorème peut servir à montrer qu'une fonction n'admet pas de primitive, en montrant qu'il existe un intervalle sur lequel cette fonction ne vérifie pas le théorème des valeurs intermédiaires. Un exemple trivial est donné par la fonction partie entière.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- G. Darboux, « Mémoire sur les fonctions discontinues », ASENS, vol. 4, , p. 57-112 (lire en ligne), en particulier p. 109-110.
- (en) Michael Spivak, Calculus, Cambridge, Cambridge University Press, , 3e éd., 670 p. (ISBN 978-0-521-86744-3, lire en ligne), p. 211 (ex. 54).
- Dominique Hoareau, Lectures sur les Mathématiques, l'Enseignement et les Concours, vol. 2, Publibook, (présentation en ligne), p. 42.
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- Lebesgue 1904, p. 89.
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- Jean-Étienne Rombaldi, « Théorème de Rolle et égalité des accroissements finis. Applications », p. 424.
- .
- (en) Lars Olsen, « A New Proof of Darboux's Theorem », Amer. Math. Month., vol. 111, no 8, , p. 713-715 (lire en ligne), cité dans(en) Teodora-Liliana Rădulescu, Vicentiu D. Rădulescu et Titu Andreescu, Problems in Real Analysis : Advanced Calculus on the Real Axis, Springer, , 452 p. (ISBN 978-0-387-77378-0, lire en ligne), p. 193-194.
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- Hélène Gispert-Chambaz, Camille Jordan et les fondements de l'analyse, Publications mathématiques d'Orsay, université de Paris-Sud, 1982, p. 17.
- (en) Israel Halperin (en), « Discontinuous functions with the Darboux property », Canad. Math. Bull., vol. 2, , p. 111-118 (lire en ligne) démontre que cette affirmation est exacte si et seulement si, pour tout entier q > 0, au moins l'un des amq est non nul. Une condition suffisante est donc que tous les an soient non nuls.
- (en) Andrew M. Bruckner (en), Differentiation of Real Functions, AMS, , 2e éd., 195 p. (ISBN 978-0-8218-6990-1, lire en ligne), chap. 1 et 2.
- (en) A. M. Bruckner et J. G. Ceder, « Darboux continuity », J'ber. DMV, vol. 67, , p. 93-117 (lire en ligne).
- (en) Krzysztof Ciesielski, Set Theory for the Working Mathematician, Cambridge University Press, , 236 p. (ISBN 978-0-521-59465-3, lire en ligne), p. 106-107.
- (en) C. H. Rowe, « Note on a pair of properties which characterize continuous functions », Bull. Amer. Math. Soc., vol. 32, no 3, , p. 285-287 (lire en ligne).
- Hoareau 2010, p. 46.
- Henri Lebesgue, Leçons sur l'intégration et la recherche des fonctions primitives, Paris, Gauthier-Villars, (lire en ligne), p. 90 (La fonction construite par Lebesgue n'est pas « fortement Darboux » au sens strict, mais le devient par composition avec une surjection de [0, 1] dans ℝ.)
- (en) Gary L. Wise et Eric B. Hall, Counterexamples in Probability and Real Analysis, Oxford University Press, , 211 p. (ISBN 978-0-19-507068-2, lire en ligne), p. 64.
- Halperin 1959.
- Voir aussi : Équation fonctionnelle de Cauchy.