Aller au contenu

Du contrat social/Édition 1762/Livre I/Chapitre 1

La bibliothèque libre.
Version datée du 13 avril 2022 à 00:18 par CaLéValab (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Marc Michel Rey (p. 1-4).


DU

CONTRACT SOCIAL ;

OU,

PRINCIPES

DU

DROIT POLITIQUE.


LIVRE I.


Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque regle d’administration légitime & sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, & les loix telles qu’elles peuvent être : Je tâcherai d’allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice & l’utilité ne se trouvent point divisées.

J’entre en matiere sans prouver l’importance de mon sujet. On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la Politique ? Je réponds que non, & que c’est pour cela que j’écris sur la Politique. Si j’étois prince ou législateur, je ne perdrois pas mon tems à dire ce qu’il faut faire ; je le ferois, ou je me tairois.

Né citoyen d’un État libre, & membre du souverain, quelque foible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. Heureux, toutes les fois que je médite sur les Gouvernemens, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer celui de mon pays !

CHAPITRE I.

Sujet de ce premier Livre.


L’homme est né libre, & par-tout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux. Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question.

Si je ne considérois que la force, & l’effet qui en dérive, je dirois ; tant qu’un Peuple est contraint d’obéir & qu’il obéït, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug & qu’il le secoüe, il fait encore mieux ; car, recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est fondé à la reprendre, ou l’on ne l’étoit point à la lui ôter. Mais l’ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions. Il s’agit de savoir quelles sont ces conventions. Avant d’en venir-là je dois établir ce que je viens d’avancer.