Pro P. Sulla
Titre original |
(la) Pro Sulla |
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Le Pro P. Sulla est une plaidoirie prononcée en 62 av. J.-C. par Cicéron en défense de Publius Sylla, accusé d’avoir participé à la conjuration de Catilina.
Contexte
[modifier | modifier le code]Le 31 décembre 63 av. J.-C.[1], Cicéron quitte sa charge de consul, gonflé d’orgueil pour « avoir sauvé la république » en déjouant la conjuration de Catilina . Il entend bien jouer un rôle majeur à l’avenir, basé sur cette nouvelle « auctoritas » qu’il croit solide. Mais déjà César et les « populares » trament contre lui. Juste avant sa sortie de charge, le 29 décembre, un tribun de la plèbe l’empêche de prononcer un discours (laudatif) de fin de fonction. Pompée commence à se défier de lui, se montre froid et lui reproche sa « jactance », son sentiment de supériorité[2].
Au cours de l'année 62 av. J.-C. , il contribue à la condamnation de plusieurs complices de la conjuration par ses témoignages.
Aussi est-il surprenant de le voir se charger de la défense de ce P. Sylla qui est à l'opposé de tout ce qu'il représente.
L'explication en est très prosaïque: pour accompagner son « auctoritas » nouvelle, Cicéron se devait d'accroître aussi sa « dignitas » (son prestige). Aussi était-il en quête d'une demeure prestigieuse à Rome. Il voulait acquérir un tel bien que Crassus mettait en vente, sur le Palatin, le quartier le plus huppé de Rome. Or cela coûtait une fortune (trois millions et demi de sesterces) et Cicéron n'avait pas les fonds. Publius Sulla était très riche et lui prêta l'argent[3].,
Les protagonistes
[modifier | modifier le code]L'accusé
[modifier | modifier le code]Publius Sulla est le neveu du dictateur Lucius Sulla. Lors des proscriptions ordonnées par son oncle, il s’enrichit en rachetant à bas prix les biens de plusieurs condamnés. Il présidait d’ailleurs les séances de mise en vente.
Soutenu par les Populares, semble-il, il suit le cursus habituel d’un noble patricien, jusqu’à l’année 66 av. J.-C., où il brigue la magistrature suprême, le consulat. Il est élu avec Autronius pour collègue, un agitateur popularis. Le parti des Optimates les attaque aussitôt pour brigue électorale (de ambitu) et, selon la lex Calpurnia, les deux sont condamnés : toute magistrature leur est interdite et ils sont chassés du Sénat.
Par la suite, il semble avoir trempé dans l’un ou l’autre complot, dont celui de Catilina, mais sans jamais jouer un rôle de premier plan. On le suppose proche de César, dont il aurait été un lieutenant à la bataille de Pharsale. Quoi qu’il en soit, lors des nouvelles proscriptions initiées par César 17 ans plus tard, il profite de l’occasion pour accroître à nouveau sa fortune, tout comme il l’avait fait sous son oncle.
L'accusation
[modifier | modifier le code]L’accusation est portée par un jeune noble patricien, Caius Torquatus. C’est le même individu qui avait lancé la procédure de 66 av. J.-C. aboutissant à la destitution des deux consuls désignés pour 65 av. J.-C. , dont P. Sulla. Le père de cet accusateur avait d’ailleurs pris une des places rendues vacantes et exercé ce consulat. Boulanger [1943][4] présuppose une vengeance personnelle derrière cette accusation.
L’accusation porte sur des délits commis lors de deux[5] conjurations et se base sur la lex Plautia de vi (sur les voies de fait, violence)[6]. Pour ce qui concerne le volet 'conjuration de Catilina', l'accusation incrimine P. Sulla pour trois délits:
- recrutement d’une troupe de gladiateurs ;
- tentative de fomenter des troubles en Espagne ;
- tentative de recrutement des habitants de Pompéi et des colons établis dans la région par son oncle, lors de sa dictature.
En outre, C. Torquatus s’en prend directement et vivement à Cicéron, un des défenseurs (voir infra: commentaires).
La défense
[modifier | modifier le code]La défense est conjointement assurée par deux ténors du barreau de l’époque, Cicéron et Quintus Hortensius. Ils ont l’habitude de travailler de concert : quelques mois plus tôt, ils ont fait acquitter Lucius Murena, consul désigné pour 62 av. J.-C., qu’une procédure visait à destituer pour brigue électorale (de ambitu). En 52 av. J.-C., on les retrouve associés dans la défense de Milon, l’assassin de Clodius.
Hortensius se charge de répondre à l’accusation sur le volet concernant la première conjuration, Cicéron se concentre sur les faits incriminés relatifs à la conjuration de Catilina, feignant d’ignorer ce qu’il en est de l’autre versant de l’affaire.
L'argumentation
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Le Pro P. Sulla présente une structure inhabituelle dans les discours judiciaires de Cicéron. En effet, la défense de l’accusé n’intervient que dans un second temps. La première partie constitue en réalité un plaidoyer pour Cicéron lui-même. Des critiques modernes ont pu parler d’une « apologie personnelle », d’un Pro M. Tullio[7].
L’autodéfense
[modifier | modifier le code]Rudement mis en cause par l’accusation (voir infra : commentaires), Cicéron consacre près du tiers[8] de son discours à sa propre personne. Les abus de pouvoir[9] qu’il aurait commis lors de son consulat constituent la menace la plus dangereuse. Pour la contrer, Cicéron montre qu’il a agi en toute légalité et surtout avec l’approbation du Sénat. De plus, il revient sur ces mois dramatiques et vise à démontrer l’extrême gravité de la situation où se trouvait l’état et le rôle héroïque qu’il a joué pour le sauver. C’est en cela que ce discours constitue une source importante sur la conjuration[10], à côté des Catilinaires et du Catilina de Salluste.
La défense de l’accusé
[modifier | modifier le code]L’essentiel vise à démontrer que rien ne prouve la participation de P. Sulla à la conjuration. Ce ne sont qu’on-dit, coïncidences, médisances. À défaut de prouver l’innocence, Cicéron écarte les incriminations[11].
Finalement, la défense se réduit à un argument d’autorité, l’autorité de Cicéron lui-même que l’on peut paraphraser ainsi : « J’étais le consul en charge d’éventer la conjuration ; toutes les informations, tous les rapports passaient entre mes mains ; jamais je n’ai vu le nom de Sulla mentionné ; c’est d’ailleurs pour cela que j’ai accepté de le défendre alors que je l’ai refusé à tous les autres inculpés qui ont sollicité mes services ».
Commentaires
[modifier | modifier le code]Datation et résultat
[modifier | modifier le code]Le procès est à coup sûr daté de l’année 62 av. J.-C. Comme Cicéron fait mention au § 92 de procès antérieurs qui ont déjà condamnés des complices, on peut le supposer plaidé à une date avancée de l’année. Probablement avant les vacances d’été des tribunaux.
Au vu de l’activité connue de l’accusé dans les années qui suivent, on le présuppose acquitté. On ne peut dire qu’il se montra particulièrement reconnaissant envers son défenseur : en 57 av. J.-C., sa maison servit de base arrière aux bandes de Clodius lors du pillage de la maison de Cicéron[12] !
Publication
[modifier | modifier le code]On ignore la date de la publication du discours. Son éditeur Boulanger estime le texte de cette publication assez proche de la version réellement prononcée lors du procès.
Les attaques des Optimates contre Cicéron
[modifier | modifier le code]Cicéron, à la sortie de son consulat, se voyait attaqué sur différents fronts. Par les populares et César, ce qui débouchera sur son exil en 58 av. J.-C., par les Pompéiens, et enfin par les Optimates dont il se voulait pourtant le héraut[13].
Si l’on accepte la thèse que l’accusateur principal, patricien, agit au compte des Optimates, le discours permet de se faire une idée de la propagande anti-cicéronienne qui provenait de ce parti :
- On lui reproche d’être un étranger (peregrinus)[14]. Homo novus, Cicéron ne parvient pas à se faire accepter par la caste patricienne. Pour elle, son origine municipale constitue une tache indélébile de plus.
- Son inconséquence dans l’affaire en cours suscite l’irritation du parti aristocratique: qu’allait-il faire à défendre un proche des populares et de César, jadis déchu de son consulat et dont la participation à la conjuration ne faisait de doute pour personne ? De plus, l’arrangement financier avec le prévenu semble bien avoir fuité avant même le procès[15].
- Plus grave encore, on lui reproche ses abus de pouvoir lors de son consulat. Et pour ce faire, C. Torquatus utilise l’injure suprême dans l’arène politique de cette époque: un comportement de roi (regnum)[16].
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Cicéron, Discours, Tome XI, Paris, les Belles Lettres, CUF, 1943 – Texte édité et traduit par André Boulanger.
- Pierre Grimal, Cicéron, Paris, Fayard, 1986, (ISBN 978-2213017860).
- André Boulanger, Introduction au Pro P. Sylla in Cicéron, Discours, Tome XI, Paris, les Belles Lettres, CUF, 1943.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Pour les détails du contexte historique, voir Boulanger 1943 (p.89-92) et Grimal 1986 (p.165 sq.)
- Comme nous l'apprend le scholiaste du Pro Plancio, 85: "quod quadam superbiore jactantia omnibus se gloriosis ducibus anteponeret". [Pompée supportait mal] "qu'il [Cicéron] se pose au-dessus de tous les glorieux généraux avec sa vantardise trop orgueilleuse".
- Prêt d'un million de sesterces aux dires d'Aulu-Gelle (12, 12, 2) qu'on ne peut guère suspecté de malveillance envers Cicéron qu'il admire.
- P. 95. Dans le discours (§ 51), Cicéron accuse le père du co-accusateur, un fils de chevalier, d'avoir ourdi une tentative d'assassinat contre sa personne, pour des raisons qu'il dit ignorer. L'affaire demeure obscure.
- La conjuration de Catilina proprement dite, en 63, et une autre, antérieure, qui nous demeure obscure. La réfutation de cette dernière fut confiée à l'associé de Cicéron, Hortensius, dont nous ne possédons pas la plaidoirie.
- Loi de 79 av. J.-C., remaniée à plusieurs reprises. Elle vise à la répression de la violence publique (vis publica) sous toutes ses formes, mal endémique à cette époque. Elle est particulièrement utilisée lors de la répression de la conjuration de Catilina.
- Boulanger [43], p. 98. Le nom complet de Cicéron est Marcus Tullius Cicero. Dans l’antiquité, les auteurs qui lui font référence utilisent indistinctement l’appellation Cicero ou M. Tullius.
- Les § 1-34 sur un discours qui en comporte 93.
- En particulier l’accusation naissante qu’il aurait fait exécuter des citoyens romains sans jugement. Incrimination qui se développera dans le temps et mènera à son exil, en 58.
- Du moins de la vision cicéronienne de l’affaire.
- Ce qu’on appellerait aujourd’hui une « présomption d’innocence ». Ce qui nous vaut cette sentence (§ 39): «Sed ego in iudiciis et in quaestionibus non hoc quaerendum arbitror num purgetur aliqui, sed num arguatur. » «Mais mon avis est que, dans toute procédure judiciaire, dans toute instruction criminelle il ne s’agit pas d’examiner si l’accusé est innocenté, mais si sa culpabilité est établie. » [Trad. Boulanger]
- Cicéron, Correspondance, Ad Att., 4, 3, 3
- En réalité, c’est à cette époque que Cicéron dégage ce qui deviendra le leitmotiv de son engagement politique, la concordia ordinum, à savoir l’alliance étroite des deux ordres dominants de la société romaine, l’ordre sénatorial et l’ordre équestre.
- § 22 : « Illud quaero peregrinum cur me esse dixeris », « Ce que j’examine, c’est pourquoi tu me traites d’étranger.» [Trad. Boulanger]
- Voir l'anecdote chez Aulu-Gelle, 12, 12
- § 21-22 : « Hic ait se ille, iudices, regnum meum ferre non posse… facetus esse voluisti cum Tarquinium et Numam et me tertium peregrinum regem esse dixisti.», « Là-dessus voici que mon adversaire prétend ne pouvoir supporter mes façons de roi… Tu as voulu faire de l’esprit en disant que j’étais, après Tarquin et Numa, le troisième roi étranger. » [Trad. Boulanger]