L’Encyclopédie/1re édition/OBSERVATEUR
OBSERVATEUR, s. m. (Astronom.) on donne ce nom à un astronome qui observe avec soin les astres & les autres phénomenes célestes. Hypparque & Ptolomée ont été célèbres sous ce nom parmi les anciens. Albœtegnius qui leur a succédé l’an 882, & Vlugh-Beigh, petit-fils du grand Tamerlan l’an 1437, ont aussi mérité ce nom parmi les Sarrasins. En Allemagne les observateurs sont Jean Regiomontant en 1457, Jean Wermer, Bernard Walther en 1475, Nicolas Copernic en 1509, Tycho-Brahé en 1582, Guillaume landgrave de Hesse, & Jean Hévélius dans le siecle précédent. En Italie Galilée & Riccioli ; en Angleterre Horocce, Flamstéed & Bradley ; & en France Gassendi, les Cassini, Delahire pere & fils, le chevalier de Louville, Maraldi, de Lille.
Observateur, (Phys. & Astr.) se dit en général de tous ceux qui observent les phénomenes de la nature ; il se dit plus particulierement des astronomes ou observateurs du mouvement des astres. Voyez Astronomie & Observation. (O)
Observateur, (Gram. Physiq. Méd.) celui qui observe. Voyez Observation. On a donné le nom d’observateur au physicien qui se contente d’examiner les phénomenes tels que la nature les lui présente ; il differe du physicien expérimental, qui combine lui-même, & qui ne voit que le résultat de ses propres combinaisons ; celui-ci ne voit jamais la nature telle qu’elle est en effet, il prétend par son travail la rendre plus sensible, ôter le masque qui la cache à nos yeux, il la défigure souvent & la rend méconnoissable ; la nature est toujours dévoilée & nue pour qui a des yeux, ou elle n’est couverte que d’une gase légere que l’œil & la réflexion percent facilement, & le prétendu masque n’est que dans l’imagination, assez ordinairement bornée, du manouvrier d’expériences. Celui là au-contraire, lorsqu’il a les lumieres & les talens nécessaires pour observer, suit pas-à-pas la nature, dévoile les plus secrets mysteres, tout le frappe, tout l’instruit, tous les résultats lui sont égaux parce qu’il n’en attend point, il découvre du même œil l’ordre qui regne dans tout l’univers, & l’irrégularité qui s’y trouve ; la nature est pour lui un grand livre qu’il n’a qu’à ouvrir & à considérer ; mais pour lire dans cet immense livre, il faut du génie & de la pénétration, il faut beaucoup de lumieres ; pour faire des expériences il ne faut que de l’adresse : tous les grands physiciens ont été observateurs. Les académiciens qui allerent déterminer la figure de la terre n’y réussirent que par l’observation ; le fameux Newton a vû tomber une poire d’un arbre sur la terre ; il n’a jamais détourné la nature pour l’approfondir & l’interprêter, ç’a été un des plus grands génies. M. *** qui sait tourner si joliment une expérience, est un très-mauvais physicien ; il n’a, dit-on, de l’esprit qu’au bout des doigts. Je ne suis pas surpris, que la prodigieuse quantité d’expériences qu’il y a, aient si peu éclairci la Physique, & que cette physique qui n’est fondée que sur des expériences ait été si inutile à la vraie philosophie ; mais je suis surpris que les Physiciens négligent l’observation, qu’ils courent après l’expérience, & qu’ils préferent le titre si facile à acquérir de faiseurs d’expériences à la qualité si rare, si lumineuse, & si honorable d’observateurs. Voyez Observation.
Ce qu’il y a encore de plus étonnant, c’est que nos moralistes soient si peu observateurs, ils composent dans leur cabinet des traités de morale sans avoir jetté un coup-d’œil sur les hommes ; remplis d’idées vagues, chimériques, ensevelis dans les préjugés les plus grossiers, les plus contraires à la vérité, ils se représentent les hommes tout autrement qu’ils sont & qu’ils doivent être, & dictent des regles, des arrêts qu’ils prétendent être émanés du sein de la divinité, dont l’exécution est très-souvent contraire à la raison, au bon sens, quelquefois impossible. Qu’il seroit à souhaiter qu’on observât, qu’on vît avec des yeux bien disposes & bien organisés les choses telles qu’elles sont ! peut-être se convaincroit-on qu’elles sont comme elles doivent être, & que vouloir les faire aller autrement, est une prétention imaginaire & ridicule ; mais le talent d’observateur est plus difficile qu’on ne pense, & sur-tout celui qui a pour objet les mœurs & les actions des hommes. Voyez Morale. Il est cependant dans ce cas absolument indispensable. Le meilleur traité de morale seroit une peinture de la vie humaine ; la Bruyere n’a fait un si bon ouvrage que parce qu’il a été dans le cas de voir & qu’il a bien observe. Un auteur qui n’ayant jamais vû le monde que par un trou & à-travers un verre mal fait, sale, obscurci, peut-il raisonnablement se flatter de le connoître ? est-il en état de l’observer, de le peindre, & de le réformer ?
Le nom d’observateur est en Médecine un titre honorable qui est, ou plutôt qui doit être le partage du médecin, qui assidu auprès de son malade, s’instruit des causes qui l’ont réduit en cet état, observe attentivement la marche réguliere ou anomale de la maladie, les symptômes qui la caractérisent, les changemens qui arrivent dans son cours, ses différentes terminaisons, & qui ne perd de vûe son malade que lorsqu’il est assuré d’une parfaite guérison ; ou si la maladie a eu une issue facheuse, si le malade est mort, il pousse ses observations jusque sur le cadavre, il cherche les causes de la mort, les dérangemens, les altérations qui ont pu l’occasionner, & auxquels, si on les avoit mieux connus, on auroit peut-être pû remédier ; enfin il décrit exactement, avec sincérité & candeur tout ce qu’il a vû : tel est l’emploi de l’observateur en Médecine, qui se réduit à bien voir & à raconter de même ; mais pour remplir & exécuter comme il faut ces deux points, que de qualités paroissent nécessaires ! 1°. Pour bien voir, ou observer (je prends ici ces deux mots comme synonymes), il ne suffit pas d’une application quelconque des sens, il faut que les sens soient bien organisés, bien disposés non seulement par la nature, mais par l’art & l’habitude, & que cette application se fasse sans passion, sans intérêt, sans préjugés, &c.
Ainsi il faut en premier lieu que l’observateur n’ait dans les organes des sens aucun vice de conformation qui en empêche l’usage libre & complet, que les yeux soient clairvoyans, le tact fin, l’odorat bon : &c. 2°. qu’ils soient propres à recevoir les impressions des phénomenes qui se présentent, quelque difficiles qu’ils soient à appercevoir & à les transmettre inaltérés au principe du sentiment, de la réflexion & de la mémoire ; c’est l’art & l’habitude qui donnent cette faculté de sentir, cette finesse dans le sentiment, & cette justesse dans la perception. Il y a des symptômes assez enveloppés pour se dérober à la vûe d’un homme qui n’a que des sens, qui exigent des lumieres précédentes appropriées. Tous les phénomenes ne se présentent pas de la même façon que la dureté de la pierre frappe le manœuvre le plus ignorant, que la couleur jaune du visage dans l’ictere que tout assistant voit, que la violence du pouls, que le dernier chirurgien & la moindre femmelette peuvent appercevoir ; mais la couleur jaune n’est pas frappante dans tous les hictériques, il faut que le médecin la cherche dans les yeux ou les urines ; il y a une infinité de modifications dans le pouls que bien des médecins même peu instruits ne savent pas distinguer. Il y a certaines connoissances préliminaires qui sont indispensables à tout médecin observateur ; quelque teinture d’Anatomie grossiere qui suffise pour connoître le siege des maladies, des blessures, & sur-tout pour les observations cadavériques, une bonne Physiologie qui ne soit qu’un détail des phénomenes que présente l’état de santé, leur méchanisme qui suppose toujours beaucoup d’incertitude est absolument inutile ; cette partie n’est nécessaire que pour mieux faire appercevoir, dans l’état de maladie, en quoi & comment une fonction est dérangée ; mais il doit sur-tout posséder la science des signes, être bien instruit de leur nature, de la maniere dont il faut s’y prendre pour les saisir comme il faut, de leur valeur & de leur signification : c’est par-là que le médecin éclairé differe & se met infiniment au-dessus de tous ceux qui n’ont aucune connoissance ou qui n’en ont que d’imparfaites & fautives ; du reste, pour acquérir encore plus de facilité à saisir les symptômes les plus obscurs, à se former une idée nette de ceux qui sont les plus embrouillés, il faut de l’habitude, il faut familiariser ses sens avec les malades, on les rend plus fins & plus justes ; l’on ne peut mieux prendre ce coup d’œil observateur, cette expérience si nécessaire que dans les hôpitaux, où la maladie entée sur la misere, attire un grand concours de personnes. L’hôpital de la Charité de Paris est un de ces établissemens avantageux, où le malade indigent est sûr de trouver tous les secours réunis administrés gratuitement avec beaucoup de zele, de soin, & de propreté, & où les jeunes médecins peuvent très-commodément, favorisés & attirés par les religieux complaisans, examiner les malades & observer les maladies aussi souvent & aussi longtems qu’ils le desirent ; éprouvant nous-mêmes tous les jours ces avantages, nous devons ce témoignage public à la reconnoissance & à la vérité.
Le médecin muni de ces connoissances suit exactement son malade, instruit par sa bouche ou par celle des assistans des causes qui ont donné lieu à sa maladie, de l’erreur qu’il peut avoir commise dans les six choses non-naturelles, il considere lui-même les maladies regnantes, s’il n’y a point quelque épidémie qui ait influé sur la maladie qu’il observe ; il examine après chaque symptôme l’état des différens visceres, manifesté par l’exercice des fonctions appropriées, il consulte le pouls, la langue, les urines, ne dédaigne point de porter sa curiosité jusques sur les excrémens les plus fétides ; il considere aussi attentivement tout l’extérieur du corps, les extrémités des oreilles, le nez, les yeux, le visage, il marque exactement le chaud ou le froid, les changemens dans la couleur & dans toutes les autres qualités, la sueur, la transpiration, l’humidité ou la sécheresse de la peau, &c. tous ces signes peuvent donner des lumieres pour le diagnostic, le prognostic, & la guérison des maladies. Voyez tous ces articles particuliers Seméiotique.
S’il ordonne quelques remedes il doit en savoir distinguer l’effet d’avec les changemens dûs à la marche de la maladie ; le médecin qui sortant de chez le malade rempli du portrait qu’il s’en est fait, va le mettre sur le papier, peut sans doute en donner un journal fidele ; mais pour que le portrait soit ressemblant, il faut qu’il ait vû les objets tels qu’ils étoient, que l’imagination bouillante ne les ait pas grossis, que la préoccupation ne les ait pas défigurés, que l’attente vive d’un résultat ne l’ait pas fait appercevoir au-lieu de la réalité, que la passion n’ait rien changé, que l’envie & l’espérance du succès n’ait pas diminué, ou la crainte augmenté la gravité des symptômes ; que de difficultés, que d’obstacles à vaincre, que d’écueils à éviter ! mais qu’il est rare qu’on y resiste & qu’on y échappe ! Les uns remplis d’idées théoriques, persuadés que l’acrimonie des humeurs est la cause de la maladie qu’ils veulent observer, s’imaginent sentir sous le doigt les petites pointes des humeurs âcres qui piquotent l’artere, & substituent ainsi la façon dont ils conçoivent les objets à leur façon propre d’exister ; d’autres emportés par une imagination active, préoccupée, ne voient les choses que comme ils voudroient qu’elles fussent, & souvent tout autrement qu’elles ne sont en effet. Le médecin tant pis verra toujours noir dans les maladies ; le moindre symptôme paroîtra mortel à ses yeux, la crainte lui grossira les objets. Le médecin tant mieux ne fera attention qu’aux symptômes qui peuvent flatter l’espérance ; les signes fâcheux prendront chez lui une signification avantageuse, & la maladie sera toujours douce & favorable. Il y en a qui regardant plusieurs signes comme peu intéressans, négligeront de les consulter ; celui-ci ne tâtera pas le pouls ; celui-là ne regardera pas la langue : l’un trop délicat dédaignera d’aller jetter les yeux sur les excrémens, l’autre n’ajoutera pas foi à l’ouromantie ou n’aura pas la commodité d’examiner les urines, & quelques-uns trop pressés ne jetteront qu’un coup d’œil en passant sans entrer dans le moindre détail ; il y en a d’autres qui confondront les signes les plus significatifs avec ceux qui ne disent rien, passeront rapidement sur les premiers, & s’étendront minutieusement sur ce dont on n’a que faire ; comme ce médecin allemand, qui regardant le mouvement comme un obstacle à la crise, qui, suivant lui, demande un repos absolu de tous les membres & une extrème tranquillité, avoit soin d’observer scrupuleusement toutes les fois que son malade remuoit les piés ou les mains ; & ainsi pour bien voir, c’est-à-dire tout ce qu’il faut comme il faut, & pas plus qu’il ne faut, il faut des lumieres, de la sagacité, du génie, il faut être instruit, assidu au lit des malades, pénétrant, desintéressé, dépouillé de toute idée théorique, de préjugé, & de passion.
2°. Pour bien raconter ce qu’on a vu ; à ces qualités, qui sont encore pour la plûpart nécessaires ici, il faut joindre beaucoup de candeur & de bonne foi ; le style doit être simple, le détail circonstancié sans être minutieux ; les faits exposés dans l’ordre qu’ils ont suivi, de la maniere dont ils se sont succédés, sans raisonnement, sans théorie. Les mauvais succès doivent être décrits avec la même sincérité que les heureux, même dans le cas où ils pourroient être attribués à l’inopportunité d’un remede ; ces cas sont les plus instructifs. Que la candeur de Sydenham est admirable, lorsqu’il dit, qu’enthousiasmé de l’efficacité du syrop de nerprun dans l’hydropisie, il voulut se servir de ce remede dans tous les cas qui se présentoient ; qu’il l’ordonna à une dame hydropique dont la maladie empiroit toujours ; que lassée d’un remede dont elle éprouvoit de si mauvais effets, elle le congédia, appella un autre médecin, qui suivant une route opposée, vint à-bout de la guérir en peu de tems. Ainsi que l’intérêt ou la passion ne guident jamais la plume du médecin observateur, qu’il les fasse plutôt céder à la vérité ; & sur-tout s’il n’a pas le courage de la publier, qu’il la laisse plutôt ensevelie dans un profond silence, comme ces médecins qui rougissent d’avouer qu’il leur est mort quelque malade entre les mains ; mais qu’ils se gardent bien de la défigurer, de transformer en succès glorieux les suites les plus funestes, à l’exemple de ces charlatans, qui n’ayant jamais la vérité pour eux, sont obligés de recourir au mensonge pour accréditer un remede souvent dangereux, & pour acquérir une réputation qui sera pernicieuse. A cet obstacle qui s’oppose à la fidélité des observateurs, on peut en ajouter un autre encore très-fréquent, c’est que la plûpart ne font des observations que pour confirmer quelque idée, quelqu’opinion, quelque découverte, & alors ou ils voyent mal & racontent de bonne foi, ou ce qui est le plus ordinaire, ils détournent l’observation en leur faveur, ils l’interpretent à leur fantaisie, & arrangent de façon qu’il paroît que le système a plutôt servi à créer l’observation, que l’observation n’a été faite pour favoriser le système. C’est pour cela qu’il nous parvient peu d’observations exactes, & que pendant plus de vingt siecles à peine pourroit-on compter huit ou dix médecins observateurs.
Hipocrate a été le premier & le meilleur de tous les médecins observateurs ; nous n’hésitons pas à le proposer pour modele à quiconque veut suivre une semblable route, c’est-à-dire, s’adonner à la partie de la médecine la plus sûre, la plus utile & la plus satisfaisante. Ses ouvrages annoncent à chaque ligne son génie observateur ; peu de raisonnement & beaucoup de faits, voilà ce qu’ils renferment. Ses livres d’épidémie sont un morceau très précieux & unique en ce genre : il commence par donner une histoire fidele des saisons, des variations qu’il y a eu, des changemens dans l’air, les météores, &c. Il passe au détail des maladies différentes ou analogues qui ont regné : il vient enfin à la description de chaque maladie, telle que chaque malade en particulier l’a éprouvé ; c’est là sur-tout qu’il est inimitable. Quand on lit ces histoires, on se croit transporté au lit des malades ; on croit voir les symptomes qu’il détaille ; il raconte simplement, sans y mêler rien d’étranger ; & ces narrations simples, fideles, qui, dénuées de tout ornement, paroissent devoir être séches, ennuyeuses, ont un attrait infini, captivent le lecteur, l’occupent & l’instruisent sans le lasser, sans lui inspirer le moindre dégoût. Il n’a point honte de terminer souvent ses observations par ces mots si injustement critiqués, ἀπέθανε, il est mort ; on voit là une candeur, une bonne foi qu’on ne sçauroit assez louer. Que je l’admire aussi lorsqu’il avoue ses erreurs, lorsqu’il dit, qu’ayant confondu la suture du crâne avec une fente, il fit trépaner mal-à-propos un homme ! A quel point de certitude auroit été porté la médecine, si tous les médecins l’avoient imité ? Que les médecins mériteroient bien ce qu’on dit assez mal à-propos d’eux, qu’ils sont les hommes qui approchent le plus de la divinité, en conservant la vie & rétablissant la santé ! Que la médecine me paroît belle quand je la vois dans ses écrits ; mais que je reviens de cette bonne opinion quand je jette les yeux sur la maniere dont on la pratique aujourd’hui, sur les bassesses auxquels on a recours, sur le charlatanisme qui devient dominant, sur les morts qui,.... Mais tirons le rideau sur un spectacle aussi révoltant. Hippocrate a principalement observé la maladie laissée à elle-même, & il nous a laissé tirer cette heureuse conséquence, donc la maladie se guérit souvent par les seuls efforts de la nature. Nous ne dissimulerons cependant pas que ce genre d’observations, quelqu’avantage qu’il ait apporté ensuite, a été quelquefois pernicieux aux malades sur qui il les faisoit. On peut aussi reprocher à Hippocrate qu’il a un peu trop négligé l’anatomie & les observations cadavériques. Galien, son illustre commentateur, a été aussi très-bon observateur ; mais il a trop donné dans la théorie, & ses observations s’en ressentent. Parmi les médecins qui ont marché sur ses traces, on peut compter les Aretée, les Baillou, les Duret, les Baglivi, les Sydenham. Riviere, Fernel, Sennert mériteroient aussi à quelques égards d’être mis dans cette classe. Sydenham a été appellé avec raison l’Hippocrate anglois ; il a comme ce divin législateur, vu exactement & décrit avec beaucoup de simplicité & de naïveté ; il a eu la candeur d’avouer que dans les épidémies, les premiers malades qui étoient confiés à ses soins, couroient un grand danger, qu’ils étoient immolés ou à la force de la maladie, ou à l’irrégularité de sa pratique. Il différe d’Hippocrate, en ce qu’il nous a sur-tout fait connoître ce que peut l’art d’accord à la nature dans le traitement des maladies ; mais on peut lui passer d’avoir prétendu dans la plurésie avoir en son pouvoir la matiere morbifique par la saignée, & de regarder le trou fait au bras par la lancette, comme très-propre à suppléer la trachée artere & à en faire la fonction, Sydenh. opér. sect. VI. cap. iv. On pourroit mettre au même rang quelques médecins estimables qui se sont appliqués à des observations particulieres, à constater la valeur de certains signes, à en déterminer la signification, à les classer, &c. De ce nombre sont Prosper Alpin ; Bellini pour les urines ; Solano, Nihell & Bordeu pour le pouls, &c.
On voit par-là combien le nombre des médecins observateurs est petit ; cependant la flatterie, l’abus, l’ignorance avoient avili ce titre honorable on le prodiguant indifféremment à l’ignorant empirique, au praticien routinier, au systématique préoccupé, au compilateur d’observations, au descripteur de maladie, &c. mais on n’est pas observateur pour avoir inséré deux ou trois observations dans quelques journaux, collections ou mémoires d’academie ; pour avoir rassemblé, abregé & défiguré des observations, & en avoir composé des suites de volumes sans choix & des gros in folio. On n’est pas non plus observateur, parce qu’on a vu bien des malades ; il faut voir des maladies. On l’est encore moins quand on n’a vu ni l’un ni l’autre, quoiqu’on donne des descriptions fort méthodiques ; c’est ce qui est arrivé au fameux Bœrhaave, qui a composé ses aphorismes dans un tems ou quelques mauvais succès lui avoient ôté la confiance du public, & l’avoient relegué dans son cabinet : il lui est arrivé aussi de décrire les maladies, plutôt comme il imaginoit qu’elles devoient être, que comme elles étoient en effet. De-là cette division multipliée à l’infini, ces regles toujours générales, & jamais des particularités : de-là aussi cette grande méthode à classer les maladies, à y rapporter toutes les causes avec une extrême facilité, cet ordre si bien soutenu dans cet ouvrage, qui décele toujours le travail du cabinet, & qui est si différent de l’irrégularité qu’on observe au lit du malade, qui est si bien peinte dans les ouvrages d’Hippocrate & de Sydenham, & dont la description affiche & caracterise infailliblement le médecin observateur. (m)