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L’Encyclopédie/1re édition/PAPE

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PAPE, s. m. (Hist. ecclésiast.) nom grec, qui signifie ayeul ou pere des peres. Il a été commun à tous les prêtres, & on l’a donné aux évêques & aux patriarches. Il est enfin devenu le titre distinctif de l’évêque de Rome. Dans le viij. concile œcuménique tenu à Constantinople en 869, & qui étoit composé de 300 évêques, tous les patriarches y furent appellés papes, & le patriarche de Rome Jean VIII. donna même, par ses lettres & par ses légats, le titre de votre sainteté au patriarche Photius. Saint Augustin écrivant à sa sœur, lui dit : Je crois que vous avez les ouvrages du saint pape Ambroise. Saint Jérôme écrivant à saint Augustin, l’appelle le bienheureux pape Augustin ; & saint Augustin dans une lettre adressée à l’évêque Aurele, le qualifie de très-saint pape & de très-honoré seigneur Aurele. On appella donc ainsi tous les évêques qui pendant long-tems s’intitulerent eux-mêmes papes, peres, pontifes, serviteurs des serviteurs de Dieu, apostoliques, &c. Ce ne fut que vers la fin du xj. siecle que Gregoire VII. évêque de Rome, dans un concile tenu à Rome fit ordonner que le nom de pape demeureroit au seul évêque de Rome, ce que l’usage a autorisé en Occident ; car en Orient on donne encore ce même nom aux simples prêtres.

Constantin donna, non au seul évêque de Rome, mais à la cathédrale qui étoit l’église de S. Jean, mille marcs d’or, & trente mille marcs d’argent, avec mille sols de rente, & des terres dans la Calabre. Chaque empereur augmenta ensuite ce patrimoine. Les évêques de Rome en avoient besoin. Les missions qu’ils envoyerent bientôt dans l’Europe païenne, les évêques chassés de leurs sieges auxquels ils donnerent asyle, les pauvres qu’ils nourrirent, les mettoient dans la nécessité d’être très-riches. Le crédit de la place supérieure aux richesses fit bientôt du pasteur des chrétiens de Rome, l’homme le plus considérable de l’Occident. La piété avoit toujours accepté ce ministere ; l’ambition le brigua. On se disputa la chaire. Il y eut deux anti-papes dès le milieu du quatrieme siecle, & le consul Prétexta, idolâtre, disoit en 466 : Faites-moi évêque de Rome, & je me fais chrétien.

Cependant cet évêque n’avoit d’autre pouvoir que celui que peut donner la vertu, le crédit, ou l’intrigue dans des circonstances favorables. Jamais aucun pasteur de l’Eglise n’eut la jurisdiction contentieuse, encore moins les droits régaliens. Aucun n’eut ce qu’on appelle jus terrendi, ni droit de territoire, ni droit de prononcer do, dico, addico. Les empereurs resterent les Juges suprèmes de tout hors du dogme. Ils convoquerent les conciles. Constantin, à Nicée, reçut & jugea les accusations que les évêques porterent les uns contre les autres, le titre de souverain pontife resta même attaché à l’empire. Quand Théodoric eut établi le siege de son empire à Ravenne, deux papes se disputerent la chaire épiscopale ; il nomma le pape Simmaque ; & ce pape Simmaque étant accusé, il le fit juger par ses missi dominici.

Atalaric son fils régla les élections des papes & de tous les autres métropolitains de ses royaumes par un édit qui fut observé ; édit rédigé par Cassiodore son ministre, qui depuis se retira au mont Cassin, & embrassa la regle de S. Benoît ; édit auquel le pape Jean II. se soumit sans difficulté. Quand Bélizaire vint en Italie, & qu’il la remit sous le pouvoir impérial, on sait qu’il exila le pape Silverius, & qu’en cela il ne passa point les bornes de son autorité, s’il passa celles de la justice.

Dans la déplorable situation où se trouvoit la ville de Rome aux vij. & viij. siecle, cette ville malheureuse, qui mal défendue par les exarques & continuellement menacée par les Lombards, reconnoissoit toujours l’empereur pour son maître, le crédit des papes augmentoit au milieu de la désolation de la ville. Ils en étoient souvent les consolateurs & les peres ; mais toujours sujets, ils ne pouvoient être consacrés qu’avec la permission expresse de l’Exarque. Les formules par lesquelles cette permission étoit demandée & accordée, subsistent encore. Le clergé romain écrivoit au métropolitain de Ravenne, & demandoit la protection de sa béatitude auprès du gouverneur, ensuite le pape envoyoit à ce métropolitain sa profession de foi.

Astolphe, roi des Lombards, prétendit avoir Rome par le droit de sa conquête de l’exarcat de Ravenne, dont le duché de Rome dépendoit. Le pape Etienne II. seul défenseur des malheureux Romains, envoya demander du secours à l’empereur Constantin, surnommé Copronyme. Ce misérable empereur envoya pour tout secours un officier du palais avec une lettre pour le roi Lombard. C’est cette foiblesse des empereurs grecs, qui fut l’origine du nouvel empire d’Occident & de la grandeur pontificale.

Rome tant de fois saccagée par les Barbares, abandonnée des empereurs, pressée par les Lombards, incapable de rétablir l’ancienne république, ne pouvoit plus prétendre à la grandeur. Il lui fallut du repos. Elle l’auroit goûté, si elle avoit pu dès-lors être gouvernée par son évêque, comme le furent depuis tant de villes d’Allemagne, & l’anarchie eût au moins produit ce bien ; mais il n’étoit pas encore reçu dans l’opinion des chrétiens qu’un évêque pût être souverain, quoiqu’on eût dans l’histoire du monde tant d’exemples de l’union du sacerdoce & de l’empire dans d’autres religions. Le pape Gregoire III. recourut le premier à la protection des Francs contre les Lombards & contre les empereurs. Zacharie son successeur animé du même esprit, reconnut Pepin, usurpateur du royaume de France, pour roi légitime.

On a prétendu que Pepin, qui n’étoit que premier ministre, fit demander d’abord au pape quel étoit le vrai roi, ou de celui qui n’en avoit que le droit & le nom, ou de celui qui en avoit l’autorité & le mérite ? & que le pape décida que le ministre devoit être roi. Il n’a jamais été prouvé qu’on ait joué cette comédie ; mais ce qui est vrai, c’est que le pape Etienne III. appella Pepin à son secours contre les Lombards ; qu’il vint en France, & qu’il donna dans S. Denis l’onction royale à Pepin, premier roi consacré en Europe. Non-seulement ce premier usurpateur reçut l’onction sacrée du pape, après l’avoir reçue de S. Boniface, qu’on appelloit l’apôtre d’Allemagne ; mais Etienne III. défendit sous peine d’excommunication aux François de se donner des rois d’une autre race. Tandis que cet évêque, chassé de sa patrie & suppliant dans une terre étrangere, avoit le courage de donner des lois, sa politique prenoit une autorité qui assûroit celle de Pepin ; & ce prince, pour mieux jouir de ce qui ne lui étoit pas du, laissoit au pape des droits qui ne lui appartenoient pas. Hugues Capet en France, & Conrad en Allemagne firent voir depuis qu’une telle excommunication n’est pas une loi fondamentale.

Cependant l’opinion qui gouverne le monde imprima d’abord dans les esprits un si grand respect pour la cérémonie faite par le pape à S. Denis, qu’Eginhar, secrétaire de Charlemagne, dit en termes exprès, que le roi Hilderic fut déposé par ordre dupape Etienne. On croiroit que c’est une contradiction que ce pape fut venu en France se prosterner aux piés de Pepin & disposer ensuite de la couronne : mais, non ; ces prosternemens n’étoient regardés alors que comme le sont aujourd’hui nos révérences. C’étoit l’ancien usage de l’Orient. On saluoit les évêques à genoux ; les évêques saluoient de même les gouverneurs de leurs diocèses. Charles, fils de Pepin, avoit embrassé les piés du pape Etienne à S. Maurice en Valais. Etienne embrassa ceux de Pepin. Tout cela étoit sans conséquence ; mais peu-à-peu les papes attribuerent à eux seuls cette marque de respect.

On prétend que le pape Adrien I. fut celui qui exigea qu’on ne parût jamais devant lui sans lui baiser les piés. Les empereurs & les rois se soumirent depuis, comme les autres, à cette cérémonie, qui rendoit la religion romaine plus vénérable aux peuples. On nous dit que Pepin passa les monts en 754 ; que le Lombard Astolphe, intimidé par la seule présence du Franc, céda aussi-tôt au pape tout l’exarcat de Ravenne ; que Pepin repassa les monts, & qu’à peine s’en fut-il retourné, qu’Astolphe, au lieu de donner Ravenne au pape, mit le siege devant Rome. Toutes les démarches de ces tems-là étoient si irrégulieres, qu’il se pourroit faire à toute force que Pepin eût donné aux papes l’exarcat de Ravenne qui ne lui appartenoit point, & qu’il eût même fait cette donation singuliere, sans prendre aucune mesure pour la faire exécuter. Cependant il est bien peu vraissemblable qu’un homme tel que Pepin qui avoit détrôné son roi, n’ait passé en Italie avec une armée que pour y aller faire des présens. Rien n’est plus douteux que cette donation citée dans tant de livres. Le bibliothecaire Anastase, qui écrivit 140 ans après l’expédition de Pépin, est le premier qui parle de cette donation ; mille auteurs l’ont citée, mais les meilleurs publiscites d’Allemagne la refutent aujourd’hui.

Il regnoit alors dans les esprits un mélange bisarre de politique & de simplicité, de grossiereté & d’artifice, qui caractérise bien la décadence générale. Etienne feignit une lettre de S. Pierre, adressée du ciel à Pepin & à ses enfans ; elle mérite d’être rapportée : la voici : « Pierre, appellé apôtre par Jesus-Christ, Fils du Dieu vivant, &c. comme par moi toute l’Eglise catholique-apostolique romaine, mere de toutes les autres églises, est fondée sur la pierre, & afin qu’Etienne, évêque de cette douce Eglise romaine, & que la grace & la vertu soit pleinement accordée du Seigneur notre Dieu, pour arracher l’Eglise de Dieu des mains des persécuteurs. A vous, excellent Pepin, Charles & Carloman trois rois, & à tous saints évêques & abbés, prêtres & moines, & même aux ducs, aux comtes & aux peuples, moi, Pierre apôtre, &c.... je vous conjure, & la Vierge Marie qui vous aura obligation, vous avertit & vous commande aussi-bien que les trônes, les dominations..... Si vous ne combattez pour moi, je vous déclare par la sainte Trinité, & par mon apostolat, que vous n’aurez jamais de part au paradis ».

La lettre eut son effet. Pepin passa les Alpes pour la seconde fois. Il assiégea Pavie, & fit encore la paix avec Astolphe. Mais est-il probable qu’il ait passé deux fois les monts uniquement pour donner des villes au pape Etienne ? Pourquoi S. Pierre, dans sa lettre, ne parle-t-il pas d’un fait si important ? Pourquoi ne se plaint-il pas à Pepin de n’être pas en possession de l’exarcat ? Pourquoi ne le redemande-t-il pas expressément ? Le titre primordial de cette donation n’a jamais paru. On est donc réduit à douter. C’est le parti qu’il faut prendre souvent en histoire, comme en philosophie. Le saint siege d’ailleurs n’a pas besoin de ces titres équivoques ; il a des droits aussi incontestables sur ses états que les autres souverains d’Europe en ont sur les leurs.

Il est certain que les pontifes de Rome avoient dès-lors de grand patrimoines dans plus d’un pays, que ces patrimoines étoient respectés, qu’ils étoient exemts de tribut. Ils en avoient dans les Alpes, en Toscane, à Spolette, dans les Gaules, en Sicile, & jusque dans la Corse, avant que les Arabes se fussent rendus maîtres de cette île au viij. siecle. Il est à croire que Pepin fit augmenter beaucoup ce patrimoine dans le pays de la Romagne, & qu’on l’appella le patrimoine de l’exercat. C’est probablement ce mot de patrimoine qui fut la source de la méprise. Les auteurs postérieurs supposerent dans des tems de ténébres que les papes avoient regné dans tous les pays où ils avoient seulement possédé des villes & des territoires.

Si quelque pape, sur la fin du viij. siecle, prétendit être au rang des princes, il paroît que c’est Adrien I. La monnoie qui fut frappée en son nom, si cette monnoie fut en effet fabriquée de son tems, fait voir qu’il eut les droits régaliens ; & l’usage qu’il introduisit de se faire baiser les piés, fortifie encore cette conjecture. Cependant il reconnut toujours l’empereur grec pour son souverain. On pouvoit très-bien rendre à ce souverain éloigné un vain hommage, & s’attribuer une indépendance réelle, appuyée de l’autorité du saint ministere.

On a écrit, on écrit encore que Charlemagne, avant même d’être empereur, avoit confirmé la donation de l’exarcat de Ravenne, qu’il y avoit ajouté la Corse, la Sardaigne, la Ligurie, Parme, Mantoue, les duchés de Spolette, de Bénévent, la Sicile, Venise, & qu’il déposa l’acte de cette donation sur le tombeau dans lequel on prétend que reposent les cendres de saint Pierre & de saint Paul. On pourroit mettre cette donation à côté de celle de Constantin, dont il sera parlé ci-après. On ne voit point que jamais les papes ayent possédé aucun de ces pays jusqu’au tems d’Innocent III. s’ils avoient eu l’exarcat, ils auroient été souverains de Ravenne & de Rome ; mais dans le testament de Charlemagne qu’Eginhart nous a conservé, ce monarque nomme à la tête des villes métropolitaines qui lui appartiennent, Rome & Ravenne auxquelles il fait des présens. Il ne put donner ni la Sicile, ni la Corse, ni la Sardaigne qu’il ne possédoit pas, ni le duché de Bénévent dont il avoit à peine la suzeraineté, encore moins Venise qui ne le connoissoit pas pour empereur. Le duc de Venise reconnoissoit alors pour la forme l’empereur d’Orient, & en recevoit le titre d’hippatos. Les lettres du pape Adrien parlent du patrimoine de Spolette & de Bénévent ; mais ces patrimoines ne se peuvent entendre que des domaines que les papes possédoient dans ces deux duchés. Gregoire VII. lui-même avoue dans ses lettres que Charlemagne donnoit 1200 livres de pension au saint siege. Il n’est guere vraissemblable qu’il eût donné un tel secours à celui qui auroit possédé tant de belles provinces. Le saint siege n’eut Bénévent que long-tems après la donation de l’empereur Henri le Noir vers l’an 1047. Cette concession se réduisit à la ville, & ne s’étendit point jusqu’au duché. Il ne fut point question de confirmer le don de Charlemagne.

Ce qu’on peut recueillir de plus probable au milieu de tant de doutes, c’est que du tems de Charlemagne les papes obtinrent en propriété la marche d’Ancone, outre les villes, les châteaux & les bourgs qu’ils avoient dans les autres pays. Voici sur quoi l’on pourroit se fonder. Lorsque l’empire d’Occident se renouvella dans la famille des Othons au x. siecle, Othon III. assigna particulierement au saint siege la Marche d’Ancone, en confirmant toutes les concessions faites à cette Eglise. Il paroît donc que Charlemagne avoit donné cette Marche, & que les troubles survenus depuis en Italie avoient empêché les papes d’en jouir. Ils perdirent ensuite le domaine utile de ce petit pays sous l’empire de la maison de Suabe.

Dans le xj. siecle, le pape Gregoire VII. prévalut tellement sur l’esprit de Mathilde, comtesse de Toscane, qu’elle fit une donation authentique de ses états au saint siege, s’en réservant seulement l’usufruit sa vie durant. On ne sait s’il y eut un acte, un contrat de cette concession. La coûtume étoit de mettre sur l’autel une motte de terre, quand on donnoit ses biens à l’Eglise. Des témoins tenoient lieu de contrat. On prétend que Mathilde donna deux fois tous ses biens au saint siege. La vérité de cette donation confirmée depuis par son testament, ne fut point révoquée en doute par l’empereur Henri IV. c’est le titre le plus authentique que les papes ayent réclamé : mais ce titre même fut un nouveau sujet de querelles.

La comtesse Mathilde possédoit la Toscane, Mantoue, Parme, Reggio, Plaisance, Ferrare, Modene, une partie de l’Ombrie & du duché de Spolette, Verone, presque tout ce qui est appellé aujourd’hui le patrimoine de S. Pierre, depuis Viterbe jusqu’à Orviette, avec une partie de la Marche d’Ancone. Henri III. avoit donné cette Marche d’Ancone aux papes, mais cette concession n’avoit pas empêché la mere de la comtesse Mathilde de se mettre en possession des villes qu’elle avoit cru lui appartenir. Il semble que Mathilde voulut réparer, après sa mort, le tort qu’elle faisoit au saint siege pendant sa vie. Mais elle ne pouvoit donner les fiefs qui étoient inaliénables, & les empereurs prétendirent que tout son patrimoine étoit fief de l’empire. C’étoit donner des terres à conquérir, & laisser des guerres après elle. Henri IV. comme héritier & comme seigneur suzerain ne vit dans une telle donation que la violation des droits de l’empire. Cependant, à la longue, il a fallu céder au saint siege une partie de ces états.

Les papes ont éprouvé le sort de plusieurs autres souverains. Ils ont été tantôt grands terriens, & tantôt dépouillés presque de tout. Qu’il nous suffise de savoir qu’ils possedent aujourd’hui la souveraineté reconnue d’un pays de 180 milles d’Italie en longueur, depuis les portes de Mentoue aux confins de l’Abbruzze le long de la mer Adriatique, & qu’ils en ont plus de 100 milles en largeur, depuis Civita-Vecchia jusqu’au rivage d’Ancone d’une mer à l’autre. Il a fallu négocier toujours, & souvent combattre pour s’assûrer cette domination.

Les papes prétendoient aussi qu’ils avoient eu la souveraineté du comté Venaissin depuis le tems du comte Raymond de S. Gilles, quoique les empereurs, comme rois d’Arles, eussent joui de ce droit, & eussent exercé dans ce comté des actes de souverain. L’empereur Frédéric II. donna l’an 1234 à Raymond le jeune les droits qui appartenoient à l’empire dans les villes & autres lieux de ce comte ; & le pape se vit obligé de le remettre à Raymond le jeune, qui le laissa à sa fille Jeanne & à son gendre Alphonse ; Philippe le Hardi, roi de France, qui fut leur héritier, remit l’an 1273 au pape Gregoire X. le comté Venaissin comme étant un propre de l’Eglise romaine. Depuis ce tems, les papes jouissent de ce comté, ainsi que de celui d’Avignon que Clément VI. acheta 75 ans après, c’est-à-dire l’an 1348 de Jeanne, reine de Sicile, comtesse de Provence, du consentement de Louis de Varente son mari, pour la somme de 80 mille florins.

Il est à propos de ne pas finir cet article, sans dire un mot de cette célebre donation qu’on dit avoir été faite par Constantin au pape Sylvestre, de la ville de Rome & de plusieurs provinces d’Italie. Hincmar, archevêque de Rheims, qui florissoit vers l’an 850, est le premier qui en ait fait mention. Le pape Léon IX. rapporte cette donation dans une lettre qu’il écrivit en 1053 à Michel, patriarche de Constantinople. Pierre Damien la cite. Anselme évêque de Luques, Yves évêque de Chartres, & Gratien l’ont insérée dans leurs collections.

Il est néanmoins certain que c’est une piece supposée. 1° Aucun des anciens n’en a fait mention. 2° Les papes qui ont parlé des bienfaits que les empereurs avoient faits au saint siege de Rome, ou qui ont défendu leur patrimoine temporel, ne l’ont jamais alléguée. 3° La date de cet acte est fausse, car il est daté de l’an 315 ; & dans l’acte il est parlé du baptême de l’empereur, qui n’étoit pas encore baptisé, même suivant l’avis de ceux qui croient qu’il a été baptisé à Rome. 4° Le style en est barbare & bien différent de celui des édits véritables de Constantin, & il y a des termes qui n’étoient point en usage de son tems. 5° Il y a une infinité de faussetés & d’absurdités dans cet édit. Il y est permis au pape de se servir d’une couronne d’or, semblable à celle des rois & des empereurs : or en ce tems-là les empereurs ne se servoient point de couronne, mais de diadème. L’histoire fabuleuse du baptême de Constantin par saint Sylvestre, & sa guérison miraculeuse de la lepre, y sont rapportées comme une chose certaine. Enfin tant de raisons concourent à décrier cette piece, que l’on ne finiroit point si l’on vouloit les exposer toutes.

Il sera plus agréable de rappeller au lecteur la réponse adroite que Jérôme Donato, ambassadeur de Venise à Rome, fit au pape Jules II. Ce pape lui ayant demandé à voir le titre du droit que la république de Venise avoit sur le golfe Adriatique, il lui répondit que s’il plaisoit à sa sainteté de faire apporter l’original de la donation que Constantin avoit faite au pape Sylvestre de la ville de Rome & des autres terres de l’état ecclésiastique, il y verroit au dos la concession faite aux Vénitiens de la mer Adriatique.

Dans les premiers siecles de l’Eglise, les peuples & le clergé conjointement, & quelquefois le clergé seul du consentement du peuple firent librement l’élection du pape à la pluralité des voix. Les empereurs depuis s’attribuerent le droit de confirmer ces élections. Ce droit fut aboli au quatrieme concile de Rome du consentement de Théodoric qui fut sur la fin de ses jours, usurper lui-même le pouvoir de créer les papes. Les rois goths qui lui succéderent se contenterent de confirmer les élections. Justinien ensuite contraignit l’élu de payer une somme d’argent, pour obtenir la confirmation de son élection ; Constantin Pogonat délivra l’Eglise de cette servitude. Néanmoins les empereurs se conserverent toujours quelque autorité dans l’élection des papes, qu’on ne consacroit pas sans leur approbation ; Louis le Débonnaire & ses successeurs rétablirent les anciennes coûtumes pour la liberté des élections.

Pendant les desordres du x. siecle sous la tyrannie des marquis d’Hétrurie & des comtes de Toscanelle, ces hommes puissans créoient & déposoient les papes comme il leur plaisoit. L’empereur Othon, ses fils & petit-fils soumirent de nouveau à leur autorité l’élection des papes, qui dépendoit absolument d’eux. Henri, duc de Baviere, leur successeur à l’empire, laissa la liberté de cette élection au clergé & au peuple romain, à l’exemple des empereurs françois. Conrard le Salique ne changea rien ; mais Henri III. son fils & Henri IV. son petit-fils, se remirent en possession du pouvoir de choisir eux-mêmes, ou de faire élire celui qu’ils voudroient pour papes : ce qui alluma d’horribles troubles dans l’Eglise, fit naître le schisme, & causa la guerre entre les papes & les empereurs au sujet des investitures.

Enfin l’Eglise ayant encore été troublée pendant l’espace d’un siecle par les anti-papes, la liberté des élections fut rétablie sous Innocent II. car, après que le schisme de Pierre de Léon, dit Anaclet, & de Victor IV. eut été éteint, tous les cardinaux réunis sous l’obéissance d’Innocent, & fortifiés des principaux membres du clergé de Rome, acquirent tant d’autorité, qu’après sa mort ils firent seuls l’élection du pape Célestin II. en 1143. Depuis ce tems-là ils se sont toujours maintenus dans la possession de ce droit : le sénat, le peuple, & le reste du clergé ayant enfin cessé d’y prendre part. Honorius III. en 1216, ou, selon d’autres, Gregoire X. en 1274, ordonna que l’élection se fît dans un conclave, c’est-à-dire un lieu fermé.

Le pape peut être considéré sous quatre sortes de titres : 1° comme chef de l’Eglise romaine ; 2° comme patriarche ; 3° comme évêque de Rome ; 4° comme prince temporel.

Pape, élection du, l’élection des papes a toujours été retenue dans l’Eglise ; mais elle a reçu divers changemens dans sa forme.

Anciennement elle se faisoit par le clergé, les empereurs, & par tout le peuple : au même tems que le pape étoit élu on le consacroit.

Telle fut la forme que l’on pratiqua jusqu’au viij. siecle, vers la fin duquel, si l’on en croit le canon Adrianus (mais qui est tenu pour apocryphe), le pape Adrien I. avec 150 évêques, & le peuple romain, accorda à Charlemagne la faculté de nommer & d’élire seul le souverain pontife.

Charlemagne ordonna que l’élection seroit faite par le clergé & le peuple, que le decret seroit envoyé à l’empereur, & que le nouveau pape élu seroit sacré si l’empereur l’approuvoit.

L’empereur Louis le débonnaire remit l’élection aux Romains, à condition seulement que quand le pape seroit élu & consacré, il enverroit ses légats en France.

Leon VII. remit ce même droit d’élire les papes à l’empereur Othon, & Nicolas II. dans un concile tenu à Rome l’an 1059, confirma le droit que les empereurs avoient d’élire les papes. Mais les empereurs ne jouirent pas long-tems de ce droit, sous prétexte de quelques inconvéniens que l’on prétendoit qui se rencontroient dans ces sortes d’élections. L’empereur Lothaire pour éviter les séditions qui arrivoient fréquemment dans ces occasions, fit une célebre ordonnance, portant que le pape ne seroit plus élu par le pape ; mais cette ordonnance ne fut point observée.

Les empereurs perdirent donc seuls le droit d’élire le pape. Les papes réserverent au clergé, au sénat, & au peuple de Rome le droit de faire conjointement cette élection, & ils réglerent qu’après l’élection, le pape seroit consacré en présence des ambassadeurs de l’Empire : ce changement arriva sous le pontificat d’Etienne X.

Vers l’an 1126, le clergé de Rome fut déclaré avoir seul le droit d’élire les papes, sans le consentement ni la confirmation de l’empereur.

Innocent II. s’étant brouillé avec les Romains qui le chasserent de la ville, les priva à son tour du droit d’élire les papes. Le clergé & le peuple de Rome furent donc exclus de cette élection ; mais ce changement ne fut entierement affermi que sous Alexandre III.

Ce pape en 1160, donna aux cardinaux seuls le droit de faire cette élection, & voulut qu’elle ne fût reputée valable qu’en cas que les deux parts des cardinaux fussent concordantes.

Le concile général de Lyon, tenu sous Grégoire X. & celui de Vienne, tenu sous Clément V. confirment cette forme d’élection, & c’est la même qui se pratique encore présentement.

Elle se fait donc par les cardinaux assemblés à cet effet dans le conclave. Voyez Conclave.

Aussi-tôt après l’élection du pape, il est exalté, c’est-à-dire porté sur les épaules. Etienne III. fut le premier pour qui cela fut pratiqué en 752, & depuis cette coutume a été suivie.

Le second concile de Lyon veut que les cardinaux laissent passer 10 jours après la mort du pape, avant que de procéder à l’élection : après ces 10 jours, les cardinaux présens doivent entrer au conclave, sans attendre les absens. Voyez Conclave.

Ce même concile déclare qu’ils ne sont tenus d’observer aucune des conventions particulieres qu’ils auroient pu faire, même avec serment, pour l’élection d’un pape, attendu qu’ils ne doivent avoir d’autre objet que de donner à l’Eglise celui qui est le plus digne d’en être le chef.

L’élection se fait ordinairement par la voie du scrutin, en mettant des billets dans un calice qui est sur l’autel de la chapelle du conclave.

Pour qu’un pape soit légitimement élu, il faut qu’il ait au moins les deux tiers des voix, autrement on doit recommencer à prendre les suffrages : cela fut ainsi ordonné des 1179.

Quand les voix sont trop long-tems partagées, il arrive quelquefois que plusieurs cardinaux conviennent d’un sujet, & sortent de leur cellule en publiant son nom. Si tous les autres nomment le même sujet, l’élection est canonique ; mais si quelqu’un des cardinaux garde le silence, on procéde de nouveau par la voie du scrutin.

Quelquefois on a nommé des compromissaires, auxquels on donne pouvoir d’élire un pape.

En 1314 les cardinaux assemblés à Lyon, après la mort de Clément V. étant embarrassés sur le choix d’un pape, déférerent l’élection à la voix de Jacques d’Ossat cardinal, qui se nomma lui-même, en disant, ego sum papa. Il fut appellé Jean XXII.

Depuis Sergius II. qui changea son nom en devenant pape, les successeurs ont coutume de faire la même chose.

La promotion d’un évêque à la papauté fait ouverture à la régale.

Confirmation. Dans tous les tems, les papes ont eu le pouvoir de gouverner l’Eglise aussi-tôt après leur élection ; en conséquence ils ont de ce moment, le droit de conférer tous les bénéfices qui sont à leur collation : ils sont même obligés de le faire dans les collations forcées, lorsqu’ils en sont requis.

Le pouvoir que le pape a dès le moment de son élection, est établi par deux textes précis.

L’un est dans une constitution d’un concile tenu à Rome en 1059, où il est dit que le siege apostolique ayant la prééminence sur toutes les Eglises de la terre, ne peut avoir de métropolitain au-dessus de lui, & que les cardinaux en font la fonction ; qu’ainsi le pape ne peut être confirmé par d’autres : les cardinaux le confirment en l’élisant. La cérémonie de l’élection, & celle de la confirmation, qui sont distinctes & séparées dans les autres évêques, ne sont qu’une seule & même chose à l’égard du pape.

Le second texte qui établit que le pape n’a pas besoin d’autre pouvoir que son élection même, & qu’elle emporte aussi la confirmation, est aux décrétales, cap. licet de elect. & electi potestàte.

On trouve cependant qu’après Constantin, les empereurs s’attribuerent insensiblement le droit de confirmer l’élection des papes, & que cela eut lieu pendant plusieurs siecles ; tellement que les papes n’étoient point consacrés avant cette confirmation : pour l’obtenir, ils envoyoient des légats à Constantinople aussi-tôt après leur élection.

L’empereur Justinien fit faire un décret par Virgilius, par lequel il étoit défendu de consacrer le pape élu, que premierement il n’eût obtenu des lettres patentes de confirmation de Justinien, ou de ses successeurs empereurs. Cette coutume fut constamment observée pendant plus de 120 ans, & jusqu’à Benoît II. Durant ce tems il y eut toujours une distance entre l’élection & la consécration des papes, parce qu’il falloit attendre les lettres de confirmation qui étoient octroyées ou par les empereurs, ou par leurs exarques & lieutenans généraux en Italie, avant lesquelles il n’étoit pas permis au pape élu de se faire consacrer, ni de prendre possession de cette dignité ; tellement même que pour cette permission, il falloit que le pape élu donnât à l’empereur 20 liv. d’or.

L’Empire ayant passé aux allemans, quelques empereurs de cette nation jouirent encore de ce droit. Charlemagne ordonna que le pape élu seroit sacré si l’empereur l’approuvoit.

Sous ses descendans plusieurs papes n’attendirent pas cette confirmation, notamment Paschal avec Louis le Débonnaire, auquel Paschal s’en excusa ensuite.

Quelques-uns prétendent que Louis le Débonnaire renonça à ce droit, suivant le canon, ego Ludovicus ; mais ce canon est apocryphe. En effet, Lothaire & Louis II. fils de Louis le Débonnaire, jouirent encore de ce droit, non pourtant sans quelque contradiction ; car le pape Euge, en 824, refusa de prendre de l’empereur la confirmation de son élection : Lothaire s’en plaignit hautement. Grégoire IV. qui tint le saint-siege peu de tems après, demanda à l’empereur la confirmation de son exaltation.

Mais les empereurs suivans ayant voulu abuser de ce droit, & se rendre maîtres des élections, ils en furent bientôt privés. Adrien III. en 884, ordonna que les papes seroient désormais sacrés sans l’approbation des empereurs. Nicolas II. aida beaucoup à affranchir les papes de la nécessité de cette confirmation. Enfin dans le xij. siecle le clergé de Rome fut déclaré avoir seul le droit d’élire les papes, sans le consentement ni la confirmation de l’empereur.

Couronnement. Le couronnement des papes est une cérémonie qui n’est pas fort ancienne, & qui est plutôt relative à la qualité de prince temporel, qu’à celle de vicaire de J. C. & de successeur de saint Pierre.

Quelques auteurs ont prétendu qu’outre l’élection, il y avoit une cérémonie dont le couronnement est l’image, & que sans cette formalité ceux qui étoient élus ne se disoient point papes, & n’étoient point reconnus pour tels dans l’Eglise.

Quoi qu’il en soit, il est certain qu’Urbain II. se fit couronner à Tours. Ils ne portoient d’abord qu’une seule couronne ; Benoît XII. fut le premier qui porta la triple couronne.

Les Jurisconsultes d’Italie ont introduit l’usage de dater les actes après le couronnement, à l’exemple des empereurs ; cependant on ne laisse pas d’expédier & de dater des provisions avant le couronnement, avec cette différence seulement qu’au lieu de dater ab anno pontificatûs, on met, à die suscepti nobis apostolatûs officii.

Crosse. Anciennement le pape portoit une crosse, comme les autres évêques ; mais sous l’empereur Othon, Benoît renonçant au pontificat auquel il avoit été appellé sans le consentement de l’empereur, remit sa crosse entre les mains de Leon VIII. pape légitime, qui la rompit en présence de l’empereur, des prélats & du peuple.

On remarque aussi qu’Innocent III. trouvoit au-dessous de sa dignité de porter une crosse qui le confondoit avec les évêques. Cependant on ne peut douter, suivant ce qui vient d’être dit dans l’article précédent, que les papes ne l’eussent toujours portée.

Le pape pour marque de sa jurisdiction supérieure, fait porter devant lui la croix à triple croisillon.

Jurisdiction. Le pape en qualité de chef de l’Eglise a certaines prérogatives, comme de présider aux conciles écuméniques : tous les évêques doivent être en communion avec lui.

Il est nécessaire qu’il intervienne aux décisions qui regardent la foi, attendu l’intendance générale qu’il a sur toute l’Eglise ; c’est à lui de veiller à sa conservation & à son accroissement.

C’est à lui qu’est dévolu le droit de pourvoir à ce que l’évêque, le métropolitain & le primat, refusent ou négligent de faire.

Les papes ont prétendu sur le fondement des fausses décrétales, qu’eux seuls avoient droit de juger même en premiere instance, les causes majeures, entre lesquelles ils ont mis les affaires criminelles des évêques. Mais les parlemens & les évêques de France ont toujours tenu pour regle, que les causes des evêques doivent être jugées en premiere instance par le concile de la province, qu’après ce premier jugement il est permis d’appeller au pape, conformément au concile de Sardique ; & que le pape doit commettre le jugement à un nouveau concile, jusqu’à ce qu’il y ait trois sentences conformes : la regle présente de l’Eglise étant que les jugemens ecclésiastiques qui n’ont pas été rendus par l’Eglise universelle, ne sont regardés comme souverains que quand il y a trois sentences conformes.

Dans les derniers siecles les papes ont aussi voulu mettre au nombre des causes majeures, celles qui regardent la foi, & prétendoient en avoir seuls la connoissance ; mais les évêques de France se sont maintenus dans le droit de juger ces sortes de causes, soit par eux-mêmes, soit dans le concile de la province, à la charge de l’appel au saint siege.

Lorsque le pape fait des decrets sur des affaires qui concernent la foi, nées dans un autre pays, ou même sur des affaires de France, qui ont été portées directement à Rome, contre la discipline de l’église de France, au cas que les évêques de France trouvent ces decrets conformes à la doctrine de l’église gallicane, ils les acceptent par forme de jugement : c’est ainsi qu’en userent les peres du concile de Calcédoine pour la lettre de S. Leon.

Le pape ne peut exercer une jurisdiction immédiate dans les dioceses des autres évêques, il ne peut établir des délégués qui fassent, sans le consentement des évêques, leurs fonctions.

Il est vrai que le concile de Trente approuve que le pape évoque à soi les causes qu’il lui plaira de juger, ou qu’il commette des juges qui en connoissent en premiere instance ; mais cette discipline qui dépouille les évêques de l’exercice de leur jurisdiction, & les métropolitains de leur prérogative de juge d’appel, n’est point reçue en France : les papes n’y sont point juges en premiere instance des causes concernant la foi & la discipline. Il faut observer les degrés de jurisdiction : on appelle de l’évêque au métropolitain, de celui-ci au primat, & du primat au pape.

Il y a seulement certains cas dont la connoissance lui est attribuée directement par un ancien usage : tels que le droit d’accorder certaines dispenses, la collation des bénéfices par prévention, &c. Hors ces cas, & quelques autres semblables qui sont remarqués en leur lieu, si le pape entreprenoit quelque chose sur la jurisdiction volontaire ou contentieuse des évêques, ce qu’il feroit seroit déclaré abusif.

Les papes ont des officiers ecclésiastiques qu’on appelle légats du saint siege, qu’ils envoient dans les différens pays catholiques, lorsque le cas le réquiert, pour les représenter, & exercer leur jurisdiction dans les lieux où ils ne peuvent se trouver. Ces légats sont de trois sortes ; savoir, des légats à latere, qui sont des cardinaux : le pouvoir de ceux-ci est le plus étendu, ils ont d’autres légats qui ne sont pas à latere ni cardinaux, & qu’on appelle legati missi ; & enfin il y a des légats nés.

Dès que le légat prend connoissance d’une affaire, le pape ne peut plus en connoître. Voyez Légat.

Outre les légats, les papes ont des nonces & des internonces, qui dans quelques pays exercent aussi une certaine jurisdiction ; mais en France ils ne sont considerés que comme les ambassadeurs des autres princes souverains. Voyez Nonce & Internonce.

Ce que l’on appelle consistoire est le conseil du pape : il est composé de tous les cardinaux, le pape y préside en personne. C’est dans ce conseil qu’il nomme les cardinaux, & qu’il confere les évêchés & autres bénéfices qu’on appelle consistoriaux. Nous reconnoissons en France l’autorité du consistoire, mais seulement pour ce qui regarde la collation des bénéfices consistoriaux. Voyez Consistoire.

Les lettres patentes des papes qu’on appelle bulles, sont expédiées dans leur chancellerie qui est composée de divers officiers.

Le pape a encore d’autres officiers pour la daterie, & pour les lettres qui s’accordent à la pénitencerie.

Les brefs des papes sont des lettres moins solemnelles que les bulles, par lesquelles ils accordent les graces ordinaires & peu importantes ; telles que les dispenses des interstices pour les ordres sacrés, &c. Voyez Bref.

Pouvoir du pape. Le pape a incontestablement le droit de décider sur les questions de foi : les decrets qu’il fait sur ce sujet regardent toutes les églises ; mais comme ce n’est point au pape, mais au corps des pasteurs que J. C. a promis l’infaillibilité, ils ne font regles de foi que quand ils sont confirmés par le consentement de l’Eglise. Telle est la teneur de la iv. proposition du clergé, en 1682.

En qualité de chef de l’Eglise le pape préside aux conciles écuméniques, & il est seul en possession de les convoquer, depuis la division de l’empire romain entre différens souverains.

Le pape est soumis aux décisions du concile écuménique, non seulement pour ce qui regarde la foi, mais encore pour tout ce qui regarde le schisme & la réformation générale de l’Eglise. C’est encore un des quatre articles de 1682 : ce qui est conforme aux conciles de Constance & de Basle.

Le pouvoir des papes n’a pas toujours été aussi étendu qu’il l’est présentement.

Les papes doivent à la piété de nos rois de la seconde race les grands domaines qu’ils tiennent en toute souveraineté, ce qui doit les engager à donner de leur part à nos rois, des marques de reconnoissance, & à avoir des considérations particulieres pour l’église gallicane.

Les papes n’avoient au commencement aucun droit sur la disposition des bénéfices, autres que ceux de leur diocese. Ce ne fut que depuis le xij. siecle qu’ils commencerent à se réserver la collation de certains bénéfices. D’abord, ils prioient les ordinaires par leurs lettres monitoires de ne pas conférer ces bénéfices ; plus souvent ils recommandoient de les conférer à certaines personnes. Ils envoyerent ensuite des lettres préceptoriales pour obliger les ordinaires, sous quelque peine, à obéir ; & comme cela ne suffisoit pas encore pour annuler la collation des ordinaires, ils renvoyoient des lettres exécutoires pour punir la contumace de l’ordinaire, & annuler sa collation. Les lettres compulsoires étoient à même fin.

L’usage a enfin prévalu, & en vertu de cet usage qui est aujourd’hui fort ancien, le pape jouit de plusieurs prérogatives pour la disposition des bénéfices : c’est ainsi qu’il confere les bénéfices vacans en cour de Rome ; qu’il admet les résignations en faveur ; qu’il pré vient les collateurs ordinaires ; qu’il confere pendant 8 mois dans les pays d’obédience, suivant la regle des mois établie dans la chancellerie romaine ; qu’il admet seul les réserves des pensions sur les bénéfices.

Les fausses décrétales, composées par Isidore de Séville, contribuerent aussi beaucoup à augmenter le pouvoir du pape sur le spirituel.

Suivant le concordat, le pape confere sur la nomination du roi, les archevêchés & évêchés de France, les abbayes & autres bénéfices qui étoient auparavant électifs par les chapitres séculiers ou réguliers : le pape doit accorder des bulles à celui qui est nommé par le roi, quand le présenté a les qualités réquises pour posséder le bénéfice.

Le roi doit nommer au pape un sujet dans les 6 mois de la vacance ; & si celui qu’il a nommé n’a pas les qualités réquises, il doit dans les 3 mois du refus des bulles en nommer un autre ; si dans ces 3 mois le roi ne nomme pas une personne capable, le pape peut y pourvoir de plein droit, sans attendre la nomination royale. Mais comme en ce cas il tient la place du chapitre dont l’élu étoit obligé d’obtenir l’agrément du roi, il faut qu’il fasse part au roi de la personne qu’il veut nommer, & qu’il obtienne son agrément.

Le concordat attribue aussi au pape le droit de pouvoir conférer, sans attendre la nomination du roi, les bénéfices consistoriaux qui vaquent par le décès des titulaires en cour de Rome ; plusieurs personnes ont prétendu que cette réserve qui n’avoit point lieu autrefois pour les bénéfices électifs, avoit été inserée par inadvertance dans le concordat, & qu’elle ne faisoit point une loi. Néanmoins Louis XIII. s’y est soumis, & il est à présumer que ses successeurs s’y soumettront : bien entendu que les papes en usent comme Urbain VIII. lequel ne conféra l’archevêché de Lyon qui étoit vacant en cour de Rome, qu’après avoir sçu de Louis XIII. que M. Miron qu’il en vouloit pourvoir, lui étoit agréable.

Pour prévenir les difficultés auxquelles les vacances en cour de Rome pourroient donner lieu, le pape accorde des indults, quand ceux qui ont des bénéfices consistoriaux vont résider à Rome. Il déclare par ces indults qu’il n’usera pas du droit de la vacance in curiâ, au cas que les bénéficiers décédent à Rome.

Lorsque le pape refuse sans cause légitime des bulles à celui qui est nommé par le roi, le nominataire peut se pourvoir devant les juges séculiers, qui commettent l’évêque diocésain pour donner des provisions, lesquelles ont en ce cas la même force que des bulles. Ou bien celui qui est nommé obtient un arrêt, en vertu duquel il jouit du revenu, & confere les bénéfices dépendans de la prélature. Cette derniere voie est la seule qui soit usitée depuis plusieurs années : on ne voit pas que l’on ait employé la premiere pour les évêchés depuis le concordat ; cependant si le pape refusoit sans raison d’exécuter la loi qu’il s’est lui-même imposée, rien n’empêcheroit d’avoir recours à l’ancien droit de faire sacrer les évêques par le métropolitain sans le consentement du pape.

Dans les premiers siecles de l’Eglise, toutes les causes ecclésiastiques étoient jugées en dernier ressort par les évêques de la province dans laquelle elles étoient nées. Dans la suite, les papes prétendirent qu’en qualité de chefs de l’Eglise, ils devoient connoître de toutes les affaires, en cas d’appel au saint siege. Après bien des contestations, tous les évêques d’occident ont condescendu au desir des papes, lesquels jugent présentement les appellations interjettées des sentences rendues par les primats, ou par les métropolitains qui relévent immédiatement du saint siege. A l’égard de la France, le juge doit nommer des délégués pour juger sur les lieux des appellations qui sont portées à Rome ; & il ne peut en connoître, même par ses délégués, que quand on a épuisé tous les degrés inférieurs de la jurisdiction ecclésiastique.

Les canonistes ultramontains attribuent aux papes plusieurs autres prérogatives, telles que l’infaillibilité dans leurs décisions sur les matieres qui regardent la foi, la supériorité au-dessus des conciles généraux, & une autorité sans bornes pour dispenser des canons & des regles de la discipline ; mais l’église gallicane, toujours attentive à conserver la doctrine qu’elle a reçue par tradiction des hommes apostoliques, en rendant au successeur de S. Pierre tout le respect qui lui est dû suivant les canons, a eu soin d’écarter toutes les prétentions qui n’étoient pas fondées.

On tient en France, que quelque grande que puisse être l’autorité du pape sur les affaires ecclésiastiques, elle ne peut jamais s’étendre directement, ni indirectement sur le temporel des rois ; il ne peut délier leurs sujets du serment de fidélité, ni abandonner les états des princes souverains au premier occupant, ou en disposer autrement.

Par une suite du même principe, que le pape n’a aucun pouvoir sur le temporel des rois, il ne peut faire aucune levée de deniers en France, même sur le temporel des bénéfices du royaume, à moins que ce ne soit par permission du roi. C’est ce qui est dit dans une ordonnance de S. Louis, du mois de Mars 1268, que le pape ne peut lever aucuns deniers en France sans un exprès consentement du roi & de l’église gallicane ; on voit aussi par un mandement de Charles IV. dit le Bel, du 12 Octobre 1326, que ce prince fit cesser la levée d’un subside que quelques personnes exigeoient au nom du pape pour la guerre qu’il avoit en Lombardie.

Néanmoins pendant un tems les papes ont pris sur les biens ecclésiastiques de France des fruits & émolumens à l’occasion des vacans (ou annates), des procurations, dixmes ou subventions & des biens-meubles des ecclésiastiques décédés ; mais ces levées ne se faisoient que par la permission de nos rois ou de leur consentement, & il y a long-tems qu’il ne s’est rien vu de semblable.

Les papes ont aussi souvent cherché à se rendre nécessaires pour la levée des deniers que nos rois faisoient sur le clergé ; ils ont plusieurs fois donné des permissions au clergé de France de payer les droits d’aide au roi ; mais nos rois n’ont jamais reconnu qu’ils eussent besoin du consentement du pape pour faire quelque levée de deniers sur le clergé, & depuis long-tems les papes ne se sont plus mêlés de ces sortes d’affaires.

Le pape ne peut excommunier les officiers royaux pour ce qui dépend de l’exercice de la jurisdiction séculiere.

Il ne peut pas non plus restituer de l’infamie, remettre l’amende-honorable, proroger le tems pour l’exécution des testamens, convertir les legs, permettre aux clercs de tester au préjudice des ordonnances & des coutumes, donner pouvoir de posséder des biens dans le royaume contre la disposition des ordonnances, ni connoître en aucun cas des affaires civiles ou criminelles des laïcs.

Quoique le pape soit le chef visible de l’église, & qu’il y ait la principale autorité pour tout ce qui regarde le spirituel ; on a toujours tenu pour maxime en France, que son pouvoir n’est pas absolu ni infini, & que sa puissance doit être bornée par les saints canons, par les regles des conciles qui sont reçus dans le royaume, & par les decrets de ses prédécesseurs, qui ont été approuvés parmi nous.

Le pape ne peut donner aucune atteinte aux anciennes coutumes des églises, qui ne sont pas contraires aux regles de la foi & aux bonnes mœurs, & notamment il ne peut déroger aux coutumes & usages de l’église gallicane, pour lesquels les plus grands papes ont toujours témoigné une attention particuliere.

Le pape peut accorder des dispenses d’âge pour certains bénéfices tels que les abbayes & les prieurés conventuels ; mais quand l’âge est fixé par la fondation, le pape ne peut y déroger, sur-tout si le bénéfice est de fondation laïque.

Il n’y a que le pape & ceux qui en ont reçu de lui le pouvoir par quelque indult, qui puissent conférer les bénefices en commende.

Le pape jouit encore en vertu de l’usage de plusieurs autres droits.

C’est à lui seul qu’il appartient de résoudre le mariage spirituel qu’un prélat a contracté avec son église ; de sorte que le siege épiscopal n’est censé vacant que du jour qu’on connoît que la démission, la résignation ou la permutation ont été admises en cour de Rome.

C’est aussi le pape qui accorde des dispenses pour contracter mariage dans les degrés prohibés.

Il dispense ceux dont la naissance est illégitime pour recevoir les ordres sacrés, & pour tenir les bénéfices-cures & les canonicats dans les églises cathédrales, mais cette légitimation n’a point d’effet pour le temporel.

Il se réserve l’absolution de quelques crimes les plus énormes ; mais il y a certaines bulles qui ne sont point reçues en France, telles que la bulle in cœnâ Domini, par laquelle les papes se sont réservé le pouvoir d’absoudre de l’hérésie publique.

En France le pape ne peut pas déroger en patronage laïc. Libertés de l’église gallicane, art. 30.

Cependant si le pape accordoit par privilege à un particulier le droit de patronage sur une église, cette concession seroit valable, pourvu que ce privilege eût une cause légitime, & qu’on y eût observé toutes les formalités requises pour l’aliénation des biens ecclésiastiques.

Lorsque le pape ne déroge pas au patronage laïc par sa provision dans les tems accordés au patron laïc, il n’est pas contraire aux maximes du royaume d’y avoir égard, lorsque le patron néglige d’user de son droit. Louet & Solier sur Pastor.

L’autorité du pape pour l’érection d’une fondation en titre de bénéfice n’est pas reçue en France ; l’évêque seul a ce pouvoir. A son refus, on se pourvoit au métropolitain.

Pour ce qui concerne la puissance temporelle du pape pendant plus de sept siecles, le pape n’étoit simplement que l’évêque de Rome, sans aucun droit de souveraineté : la translation du siege de l’empire à Constantinople put bien donner occasion au pape d’accroître son pouvoir dans Rome ; mais la véritable époque de la puissance temporelle des papes est sous Grégoire III. lequel en 740 proposa à Charles Martel de se soustraire à la domination de l’empereur, & de le proclamer consul.

Pepin, fils de Charles Martel, donna au pape l’exarcat de Ravenne, il ne lui donna pas la ville de Rome : le peuple alors ne l’eût pas souffert ; c’est apparemment cette donation de Pepin qui a donné lieu à la fable de la donation prétendue faite au pape Sylvestre par l’empereur Constantin le Grand. Celle de Pepin fut faite du tems de Constantin Copronyme, mais sans son consentement ; il paroît pourtant que c’est cette équivoque de nom qui a servi de fondement à la prétendue donation de Constantin, que l’on imagina dans le xe. siecle.

Sous Charlemagne le pape n’avoit encore qu’une autorité précaire & chancelante dans Rome : le préfet, le peuple & le sénat, dont l’ombre subsistoit encore, s’élevoient souvent contre lui.

Adrien I. reconnut Charlemagne roi d’Italie & patrice de Rome. Charlemagne reconnut les donations faites au saint siege, en se réservant la suzeraineté, ce qui se prouve par les monnoies qu’il fit frapper à Rome en qualité de souverain, & parce que les actes étoient datés de l’année du regne de l’empereur, imperante domino nostro Carolo ; & l’on voit par une lettre du pape Léon III. à Charlemagne, que le pape rendoit hommage de toutes ses possessions au roi de France.

Ce ne fut que long-tems après que les papes devinrent souverains dans Rome, soit par la cession que Charles le Chauve leur fit de ses droits, soit par la décadence de l’empire, depuis qu’il fut renfermé dans l’Allemagne ; ce fut sur-tout vers le commencement du xij. siecle que les papes acheverent de se soustraire de la dépendance de l’empereur.

Boniface VIII. porta les choses encore plus loin ; il parut en public l’épée au côté & la couronne sur la tête, & s’écria : je suis empereur & pontife.

Plusieurs empereurs s’étant fait couronner par le pape, pour rendre cette action plus sainte & plus solemnelle, les papes ont pris de-là occasion de prétendre que le nouvel empereur étoit obligé de venir en Italie se faire couronner ; c’est pourquoi autrefois aprés l’élection, & en attendant le couronnement, on envoyoit à Rome pour en donner avis au pape, & en obtenir la confirmation. Le pape faisoit expédier des lettres qui dispensoient l’empereur de se rendre en Italie pour y être couronné à Milan & à Rome, ainsi que les papes prétendoient que les empereurs y étoient obligés.

Ces deux couronnemens furent abolis par les états de l’empire en 1338 & 1339 : il fut décidé que l’élection des électeurs suffisoit ; & que quand l’empereur avoit prêté serment à l’empire, il avoit toute puissance.

Cependant les papes veulent toujours que l’empereur vienne à Rome recevoir la couronne impériale, & dans leurs bulles & brefs, ils ne le qualifient que d’empereur élu.

Quelques papes ont même prétendu avoir le droit de disposer des couronnes.

Sylvestre II. érigea le duché de Hongrie en royaume en faveur du duc Etienne, c’est le premier exemple d’une semblable érection faite par le pape.

Léon IX. donna aux Normans toutes les terres qu’ils avoient conquises, & qu’ils prendroient sur les Grecs & sur les Sarrasins.

Urbain II. prétendit que toutes les îles lui appartenoient.

D’autres encore plus ambitieux, tels que Grégoire VII. & Boniface VIII. ont voulu entreprendre sur le temporel des souverains, délier leurs sujets du serment de fidélité, & disposer de leurs états ; mais en France on a toujours été en garde contre ces sortes d’entreprises ; & toutes les fois qu’il a paru quelques actes tendant à attenter sur le temporel de nos rois, le ministere public en a interjetté appel comme d’abus, & les parlemens n’ont jamais manqué par leurs arrêts de prendre toutes les précautions convenables pour prévenir le trouble que des pareilles entreprises pourroient causer.

Voyez les libertés de l’église gallicane, les mémoires du clergé, les loix ecclésiastiques, l’histoire du droit public ecclésiastique, le tableau de l’empire germanique, le traité des mat. bénéf. de Fuet, le recueil de jurisprud. can. de la Combe, la bibliotheque canonique, les définitions canoniques.

Voyez aussi les mots Bénéfices, Chancellerie romaine, Cardinaux, Cour de Rome, Légat, Nonce. (A)