L’Encyclopédie/1re édition/PARIUM
PARIUM, (Géog. anc.) c’étoit une ville de l’Asie-mineure, située sur la Propontide, entre Lampsaque & Priapus, dans un territoire fertile, & qui produisoit des vins estimés : elle avoit un bon port ; on fait remonter son antiquité jusqu’aux tems fabuleux. On a dit qu’elle prit son nom de Parius, fils de Jasion ; qu’il y habitoit une race d’hommes ophigènes, c’est-à-dire, descendus d’un héros qui avoit été serpent ; & qu’ils avoient la vertu de guérir la morsure des bêtes venimeuses, comme les psylles d’Afrique ; ce qu’il y a de certain, c’est que cette ville fut fondée par les Milésiens, les Erythréens & les habitans de l’île de Paros, d’où elle a pris son nom. Elle s’accrut des ruines de la ville d’Adrastée ; & sous les rois de Pergame, une partie du territoire de la ville de Priapus lui fut soumise.
ΠΑΡΙΑΝΩΝ sur les médailles, désigne les habitans de Parium ; elle étoit de la province proconsulaire d’Asie ; Auguste en fit une colonie. Pline, l. V. ch. xxxij. ne l’a pas oubliée ; mais il paroît l’avoir confondue avec Adrastée : elle jouissoit du droit italique, comme Alexandria Troas.
Cette ville ainsi que les autres colonies, étoit gouvernée par un senat ou conseil, composé de décurions ; ses duumvirs sont marqués sur une médaille, frappée sous Galien. Plusieurs types des médailles de Parium, sont relatifs à l’établissement de la colonie. Voyez Parium, Médailles de, (Art numism.)
Strabon nous apprend que le culte d’Apollon & de Diane, fut transféré de la ville d’Adrastée à Parium, & qu’on leur éleva un autel d’une grandeur & d’une beauté extraordinaires ; c’étoit l’ouvrage du célebre Hermocréon. Pline parle aussi de la statue de Cupidon, placée dans cette ville, elle étoit de la main de Praxitele, & elle égaloit en beauté la Venus de Gnide.
La colonie rendit les honneurs divins à Jules César & à Auguste : on en trouve la preuve dans une inscription, rapportée par Spon & par Wéheler. La même ville donna la naissance au fameux Peregrin, dont Lucien a décrit la mort. Les habitans de Parium lui dresserent des statues, & lui attribuerent la vertu des miracles, & de rendre des oracles.
La ville de Parium étoit dépendante du gouvernement de l’Asie proconsulaire ; mais ce gouvernement ayant été divisé en plusieurs provinces sous le regne de Dioclétien, Parium fut comprise dans la nouvelle province d’Hellespont, dont Cyzique étoit la métropole. Elle eut des évêques suffragans du métropolitain de Cyzique ; on en peut voir la suite dans l’Oriens Christianus du P. le Quien.
Les provinces orientales ayant été partagées en différens thèmes ou départemens militaires, après le regne d’Héraclius ; cette ville nommée alors Πάριος, fut comprise dans le thème d’obsicion. Cette division subsista sous les empereurs grecs, jusqu’à la grande invasion des Turcs dans cette partie de l’Asie mineure, au commencement du quatorzieme siecle. Un de leurs chefs appellé Carassi s’empara de la Troade, & des pays voisins, & donna son nom à ce canton. On l’appelle encore Liva ou district de Carassi ; il dépend du pachalik d’Anadoli. La ville de Parium étoit encore connue au seizieme siecle du tems du géographe Sophien, sous le nom de Pario. Elle est maintenant détruite, & on en voit les ruines près d’un lieu appellé Kamaris, sur un bassin qui étoit anciennement le port de la ville. (Le Chevalier de Jaucourt.)
Parium, médailles de, (Art numismatiq.) M. l’abbé Belley a expliqué deux médailles singulieres de cette ville. La premiere frappée sous le regne de Commode a pour type du revers un bœuf de bout, la tête élevée, qui présente le pié droit de devant à une figure assise, comme pour en recevoir du soulagement ; on lit au-dessus cette inscription : Deo aesc. sub. Ce type se trouve encore sur une médaille de la même ville, frappée sous Gallien, avec l’inscription Deo aesc. mais sans le mot sub.
M. l’abbé Belley propose avec modestie une conjecture très-raisonnable. Esculape le dieu de la Médecine avoit des temples par toute la terre ; on en connoît deux en Mysie, l’un à Pergame, l’autre à Poemanine, ville dont parle Pline & Etienne de Bysance, dont on a des médailles. Il est très-croyable que les païens invoquoient ce dieu non-seulement pour la guérison des hommes, mais encore pour les maladies des animaux. Hiéroclès, dans la préface de son ouvrage sur l’art de panser les chevaux, s’exprime en ces termes : « Invoquons pour obtenir du secours dans cet art Neptune équestre, & Esculape, le conservateur du genre humain, qui prend aussi un grand soin des chevaux ». Les habitans de Nicée firent graver sur une de leurs medailles le symbole de ce double bienfait d’Esculape envers les hommes & les animaux. On voit un cavalier sur un cheval qui, d’un pié formé comme le bras d’un homme, tient le bâton d’Esculape avec l’inscription, ιππον βροτοποδα, comme le baron de Spanheim l’a déja observé.
On peut croire qu’une maladie sur les bestiaux semblable à celle qui depuis quelques années a désolé plusieurs régions de l’Europe, se fit sentir sous les regnes de Commode & de Gallien dans l’Asie mineure, & en particulier dans le territoire de Parium ; que les habitans de la colonie, pour obtenir la cessation de ce fléau, firent des vœux à Esculape ; que le mal ayant cessé, ils offrirent des sacrifices en action de graces, & qu’ils placerent dans le temple du dieu, suivant l’usage pratiqué alors, un tableau qui représentoit le vœu de la colonie.
Il est bien probable que le type des médailles dont il s’agit a été gravé d’après cette sorte d’ex voto. Les lettres sub sont, selon cette conjecture, les premieres du mot subvenienti ; le terme grec Συμφορεὺς, dans le texte d’Hiéroclès, présente la même idée. Tibulle a dit, en parlant de ces tableaux votifs :
Nunc, dea, nunc succure mihi : nam posse mederi
Picta docet templis multa tabella tuis.
L’autre médaille singuliere de Parium, frappée sous Gallien, représente un arc-de-triomphe : on le voit sur un moyen bronze publié par M. Vaillant, & sur un grand bronze très-rare du cabinet de M. Pellerin. Quelques savans ont cru que c’étoit un monument du triomphe de Gallien, qui, dans le sein de la mollesse & de la volupté, eut la vanité de célébrer à Rome une espece de triomphe tandis qu’il laissoit l’empire en proie aux rebelles & aux barbares : mais cette extravagante cérémonie n’attira à Gallien que du ridicule ; Rome même ne lui érigea point de semblable monument, & l’arc qu’on y voit encore & qu’on appelle l’arc de Gallien, ne porte aucune marque, ni aucun ornement de triomphe ; l’inscription fait connoître que cet édifice fut élevé en l’honneur de Gallien & de l’impératrice Salonine, par un particulier nommé Marcus Aurelius, & nullement par autorité publique.
M. l’abbé Belley pense que la colonie de Parium fit élever dans sa ville en l’honneur de Gallien, mais pour un sujet tout différent, l’arc-de-triomphe qui est représenté sur ses médailles. L’an 267, les Hérules, nation germanique, sortirent des Palus méotides, traverserent le Pont-Euxin avec une flotte de cinq cens vaisseaux, entrerent dans le Bosphore jusqu’à Bysance où ils furent battus par un général romain, & se retirerent à l’entrée du détroit dans le Pont-Euxin : mais dès le lendemain ayant profité d’un vent favorable, ils rentrerent dans le canal, passerent devant Bysance, & allerent aborder au port de Cyzique ; ils pillerent cette grande ville, ravagerent la côte de la Propontide où étoit située la ville de Parium, passerent le détroit de l’Hellespont, firent le dégât dans les îles de Lemnos & de Scyros, aborderent dans la Grece, où ils prirent & brûlerent Athènes, Corinthe, Argos, Sparte, & mirent à feu & à sang toute l’Achaïe. Les Athéniens les battirent dans un défilé ; mais cet échec n’arrêta pas leurs ravages, ils se répandirent dans l’Illyrie. L’Empereur Gallien se réveilla de son assoupissement en cette occasion ; il alla en personne secourir ces provinces désolées : il attaqua & vainquit les Barbares, & obligea leur chef de se rendre. L’empereur retourna en Italie, & chargea le général Marcien de poursuivre ces Barbares : celui-ci les battit plusieurs fois, & les força de passer le Danube, & de sortir des terres de l’empire. L’Asie mineure, délivrée de ces redoutables ennemis, célébra sans doute la victoire de Gallien par des réjouissances publiques. La ville de Parium, qui avoit été exposée à leurs ravages, fit élever alors cet arc-de-triomphe. C’est un édifice composé de trois arcades, sur lequel l’empereur paroît dans un char attelé de deux éléphans au milieu de deux victoires, qui lui présentent une couronne de laurier.
Au reste, il faut savoir que ΠΑΡΙΩΝ sur les médailles désignent les habitans de l’île de Paros, & ΠΑΡΙΑΝΩΝ ceux de Parium, dont Auguste fit une colonie. La plûpart des types des médailles de Parium sont relatifs à l’établissement de la colonie ; on y voit le colon ou laboureur traçant avec la charrue l’enceinte de la ville & les limites du territoire ; la louve avec les jumeaux, symbole d’une origine romaine ; le capricorne, symbole d’Auguste ; les enseignes militaires qui furent portées à la tête des vétérans lorsqu’ils furent conduits à ce nouvel établissement, le génie de la colonie.
On a d’autres médailles qui représentent aussi les divinités de Parium ; Apollon & Diane, cette Diane que les anciens appelloient Lucifera. On y voit aussi Cupidon. Enfin le dieu des jardins, qui avoit donné son nom à une ville voisine de Parium, nommée Priapus, paroît aussi sur ces médailles. (Le chevalier De Jaucourt.)